Née en 1975 à Maroua, dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, Djaïli Amadou Amal est une écrivaine reconnue pour ses ouvrages traitant des violences et des discriminations dont sont victimes les femmes du continent africain. En trois romans, elle s’est classée définitivement parmi les valeurs sûres de la littérature en Afrique. Figure de proue de la lutte pour les droits des femmes dans son propre pays, elle est considérée aujourd’hui comme l’un des plus importants écrivains peuls de l’histoire.
Les Impatientes, son dernier roman (paru aux éditions Emmanuelle Collas), inscrit sur la liste du prix Goncourt 2020, est une fiction inspirée de faits réels, un livre polyphonique qui retrace les destins croisés de trois femmes vivant au nord du Cameroun. Polygamie, mariage précoce et forcé, violences conjugales… Voilà ce qui lie Ramla, Hindou et Safira. L’une a été forcée d’épouser un homme qu’elle n’aimait pas, la seconde se fait battre par son mari, la troisième a été obligée d’accepter que son époux prenne une autre épouse… Un roman pour briser les tabous ! Une plongée au cœur de la souffrance de ces femmes, condamnées à se soumettre aux volontés d’un père, d’un oncle, d’un mari qu’il leur faudra souvent partager avec une, ou plusieurs co-épouses…
Extraits de l’interview accordée par Djaïli Amadou Amal à TV5monde :
« L’ouvrage traite effectivement des questions de violences conjugales, et surtout dans ses aspects psychosomatiques, qui ne sont pas toujours mis en évidence. C’est pourtant dans ces aspects que les violences conjugales sont les plus destructrices pour la femme dans le Sahel, aussi bien dans sa personne que dans sa dimension sociale. Il m’a paru fort utile de mettre le doigt sur l’un des fléaux les plus saillants et dommageables de la condition féminine (…)
C’est une fiction inspirée de la réalité, comme l’ensemble de mes romans. En ce qui concerne mon vécu personnel, je dirais qu’il y a un lien avec l’histoire de Ramla. Cette jeune fille pleine de rêves qui subit à un âge pubère un mariage forcé avec un homme plus âgé qu’elle. Enfin, il me semble important d’indiquer que dans chaque page et chaque ligne d’un ouvrage, un écrivain ou une écrivaine donne toujours un peu de soi. (…) J’ai appris à être une femme indépendante… Sur le plan psychologique, le plus dur a été d’affronter les regards réprobateurs de la famille, des amis et de la société. Il y a eu des accusations et calomnies injustifiées. Mais comme Ramla, j’avais désormais un objectif. Celui d’être la voix de toutes ces femmes victimes de violences. Je pense d’ailleurs que chacun d’entre nous, par la voie qu’il aime, peut faire évoluer la société. J’ai choisi la littérature ; elle a été pour moi l’arme qui m’a permis non seulement d’être personnellement forte mais de l’être suffisamment pour aider les autres (…)
Dans la société d’où je viens, qui est le Sahel, le viol est devenu une habitude, voire une culture, surtout les soirs de noces. Évidemment, il y a des conséquences pour la jeune épouse, notamment au plan psychologique. Lorsqu’une femme se plaint de violences conjugales, c’est très mal vu par la société qui, depuis toujours, est complice de ces violences-là. Cela est bien sûr valable pour les autres sociétés. Car combien d’entre nous ont déjà assisté à des scènes où le voisin frappait la voisine sans intervenir ? Ce qu’on peut davantage déplorer, c’est le fait que les femmes soient aussi complices. Dans le livre, la mère fait du chantage affectif à sa fille pour que celle-ci accepte de se marier avec un homme fortuné, tout en la persuadant que c’est pour son bien et qu’elle ne devrait jamais épouser l’homme qu’elle aime. On lui assène des leçons sur la dignité et l’importance de rester dans un mariage même si elle est une femme battue et finalement ça devient une norme. C’est là que réside le drame (…) .»
Walaandé, l’art de partager un mari :
Dans ce précédent ouvrage, Djaïli Amadou Amal montrait déjà les dérives de la polygamie, les discriminations sous-jacentes accablant la femme soumise à l’autorité implacable d’un l’époux qui répudie au gré de ses humeurs, sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit, et encore moins à la victime elle-même. Des femmes vivant sous le régime de la polygamie, elle analyse ainsi la situation tragique, et humiliante : « D’une certaine façon, c’est le poids de la société qui pèse sur elles ; elles vivent avec l’idée que la condition qui est la leur est normale. Celles qui en ont par extraordinaire conscience, ressassent intérieurement leurs frustrations, qui se manifestent généralement par les luttes âpres qu’elles se mènent entre elles pour être la préférée du harem, à défaut d’avoir pu provoquer la répudiation des rivales, l’arme ultime et redoutée entre les mains exclusives de l’époux tout-puissant. »
L’engagement :
Femme engagée autant qu’écrivaine reconnue, « voix des sans voix », elle est aussi à la tête d’une association dénommée « Femmes du Sahel » , association à but non lucratif, qui œuvre pour l’éducation et le développement des femmes dans le Nord-Cameroun, une région où le taux de scolarisation reste encore le plus faible du pays – en dessous de 50% –, une région où le sort réservé à la jeune fille est prioritairement le mariage. « Les actions sociales de l’association s’inscrivent naturellement dans la continuité de mes convictions d’écrivaine, en droite ligne de mon combat pour les droits des femmes. Ces actions sociales sont l’expression de la logique irréfutable que l’instruction et l’autonomisation de la femme lui confèrent les armes nécessaires pour faire efficacement face aux malheurs sociaux qui jonchent son itinéraire », déclare Djaïli Amadou Amal. « Nous sensibilisons les filles à l’importance de continuer leurs études, d’avoir un diplôme et d’apprendre un métier. Nous leur apprenons aussi à se prémunir contre les violences. Parce que l’obstacle à l’éducation des filles, au-delà des mariages précoces et forcés, ce sont les violences auxquelles elles sont confrontées à l’école et sur le chemin de l’école. »
Citations tirées du roman Les impatientes
« Patience, mes filles ! Munyal ! Telle est la seule valeur du mariage et de la vie. Telle est la vraie valeur de notre religion, de nos coutumes, du pulaaku. Intégrez-la dans votre vie future. Inscrivez-la dans votre coeur, répétez-la dans votre esprit ! Munyal, vous ne devrez jamais l’oublier ! », fait mon père d’une voix grave.
« Munyal, mes filles, car la patience est une vertu. Dieu aime les patientes », répète mon père, imperturbable. « J’ai aujourd’hui achevé mon devoir de père envers vous. Je vous ai élevées, instruites, et je vous confie ce jour à des hommes responsables ! Vous êtes à présent de grandes filles – des femmes plutôt ! Vous êtes désormais mariées et devez respect et considéra-tion à vos époux. »
« Munyal, mes filles ! », dit mon oncle Hayatou. Puis il marque une pause, se racle la gorge avant d’énumérer d’un ton grave : « Respectez vos cinq prières quotidiennes. Lisez le Coran afin que votre descendance soit bénie. Craignez votre Dieu. Soyez soumises à votre époux. Épargnez vos esprits de la diversion. Soyez pour lui une esclave et il vous sera captif. Soyez pour lui la terre et il sera votre ciel (…) Épargnez sa vue, son ouïe, son odorat. Que jamais ses yeux ne soient confrontés à ce qui est sale dans votre nourriture ou dans votre maison. Que jamais ses oreilles n’entendent d’obscénités ou d’insultes provenant de votre bouche. Que jamais son nez ne sente ce qui pue dans votre corps ou dans votre maison, qu’il ne hume que parfum et encens ». Ses mots s’incrustent dans mon esprit. Je sens mon cœur se briser en réalisant que je suis en train de vivre mon cauchemar des jours précédents. Jusqu’au dernier moment, naïvement, j’ai espéré un miracle qui m’épargne cette épreuve. Une rage impuissante et muette m’étrangle. Envie de tout casser, de crier, de hurler…
Sur France Inter, le 24 octobre, un témoignage :
Marie-Basile est auxiliaire de vie. Auparavant, au Cameroun, elle était fonctionnaire de police. Mais les violences conjugales exercées par son ex-mari ont failli la pousser au pire. Alors, elle est partie en France. Aujourd’hui, elle se bat pour la reconnaissance de son métier, essentiel et pourtant si mal payé.
Fort-de-France, le 25 octobre 2020
Prix Goncourt 2020 : Les quatre finalistes seront annoncés le 27 octobre. La proclamation aura lieu le 10 novembre chez Drouant. Le lauréat ou la lauréate succédera à Jean-Paul Dubois, couronné en 2019 pour « Tous les hommes n’habitent le monde de la même façon ».