—Par Roland Sabra —
Ils arrivent sur le plateau par les côtés de la salle, bras tendus, un revolver au bout de la main. Deux vieux clowns de réforme. L’un, crâne d’œuf au bas duquel pend un postiche élimé de rouquin, l’autre « Bibendum » noirci, enperruqué de faux cheveux noirs, raides et lustrés, sont enfermés dans les bas-fonds d’un théâtre poussiéreux. Ils attendent. Ils parlent pour ne rien dire. Ils se racontent des histoires. Ils attendent un ordre, une mission. Ils parlent et ils attendent un nouveau contrat. Ils affabulent et ils attendent un autre assassinat. Ils mentent et ils attendent, peut-être leur propre mort. Ils inventent et ils attendent. Qu’attendent-ils ? Oh ce n’est pas Godot ! N’est pas Beckett qui veut ! Il y a une vague couleur d’absurdité revendiquée qui fait clin d’œil à un théâtre de cet acabit. Absence d’intrigue au sens narratif, décor improbable, interchangeabilité des rôles, réactions excessives et outrancières des personnages, utilisations de procédés linguistiques éculés comme les répétitions, les faux proverbes, les pléonasmes, les jeux de mots grassouillets parsèment le parcours de quelques fleurs vénéneuses quoiqu’un peu flétries. Les échanges entre les personnages se construisent de manière à déconstruire le sens de la communication, tout en laissant deviner un non-dit qu’ils avancent à demi-mots. Là en l’occurrence l’un a couché avec la femme de l’autre. Ce n’est pas grand chose, certes, mais quelque fois ça peut procurer de la gène, aux entournures. Enfin les femmes dans cette histoire, elles n’ont pas beaucoup de place, hormis celle réservée à une pom pom-girl livreuse de pizzas empoisonnées. C’est souvent la place que le metteur en scène réserve à la gente féminine dans ses spectacles. Voir la traversée de la scène par une danseuse dans « La nuit juste avant les forêts« .
Hervé Deluge nous propose un exercice de fin de stage d’école de théâtre, l’ERAC ( Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes), qu’il avait écrit et joué avec Virgile Coignard, au Théâtre de Lenche dans le quartier du Panier à Marseille, dans une mise en scène de Fabien Daniel. Les trois copains d’école s’étaient attirés, à l’époque, une critique bienveillante, plutôt sympathique. Pensez, trois petits jeunes un peu culottés qui n’hésitent à pas à singer leurs aînés. Il fallait les encourager. Hélas, les fruits ne tiennent pas toujours la promesse des fleurs. Les artifices n’illusionnent que ceux qui veulent bien s’y laisser prendre, et il faudrait beaucoup de complaisance pour s’esbaudir devant cet exercice d’école quelque peu laborieux. Le spectacle aujourd’hui, rallongé d’un bon quart d’heure traîne en longueur. L’enchaînement des séquences est d’une lourdeur parfois incommensurable, aggravée par le recours à des passages musicaux d’une légèreté éléphantesque. Mais bon on peut toujours se dire qu’il y a adéquation entre le fond musical et la situation sur scène.
Manque de rythme et peu de rires somme toute dans la salle. Les deux comédiens, dont on connaît les talents pour les avoir vus de nombreuses fois sur scène en Martinique, n’y sont pour rien. Le texte a du mal à couler entre eux deux, peut-être leur faudrait-il une vingtaine de représentations pour que les emboîtements se fassent avec plus de spontanéité. Ils sont sur scène sans trop y croire.
Ce travail qui a été en son temps estimable car porteur d’espoirs d’une jeune génération de théâtre apparaît aujourd’hui comme les restes un peu décatis, un peu vieillots de projets inaboutis faute d’avoir eu l’audace ou le talent de les porter à maturité. Un peu comme ces vieux beaux, décharnés, la peau du visage tendue par les liftings réitérés, prête à se déchirer, sous l’éclat d’un rire imprévu . La fin arrive et, soulagé, on se dit : enfin!
Fort-de-France le04/04/2014
Roland Sabra
« Pull »
Une pièce de Hervé Deluge
Mise en scène : Hervé Deluge
Compagnie Ile Aimée
Avec : Christian Charles Denis et Ruddy Sylaire.
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