Sous la direction de Guillaume Blanc, Mathieu Guérin, Grégory Quenet
Comment s’est construit, au fil du XXe siècle et jusqu’à nos jours, le gouvernement de « la » nature en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient ? De la création des premières réserves de chasse dans les colonies africaines au nom de la protection de la faune aux modèles actuels de conservation communautaire privilégiés par les organisations internationales, cette ambitieuse recherche croisant histoire, géographie, science politique et écologie, revient sur les négociations et luttes provoquées par le « colonialisme vert ».
Qu’il s’agisse de la gestion impériale des forêts à Singapour ou au Liban, de l’introduction de nouvelles espèces dans l’Afrique coloniale française ou de la promotion de la « récolte » de la grande faune, des conflits contemporains autour du tigre, de l’éléphant et du crocodile marin en Inde, ces études font ressortir l’entremêlement des temps coloniaux et post-coloniaux. Avant comme après les indépendances, protéger la nature, c’est exercer le pouvoir. Et hier comme aujourd’hui, la conservation globale de la nature aux Suds évolue au rythme d’une contradiction permanente entre prédation et protection.
Discipline : Histoire
EAN : 9782271144256
Date de parution : 20/10/2022
Pagination : 384
Format : 15 x 23 cm
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Dans L’Invention du colonialisme vert (Flammarion, 2020), Guillaume Blanc démontrait comment est né le mythe d’une nature africaine luxuriante à protéger des populations locales. Et comment s’était mise en place une écologie coloniale aux dépens des Africains. C’est ce travail qu’il poursuit avec d’autres spécialistes de l’Afrique et de l’Asie dans l’ouvrage Protéger et détruire. Gouverner la nature sous les tropiques (XXe-XXIe siècle). Se penchant sur une histoire globale de la conservation de la nature, mais « à une échelle réduite », les chercheurs montrent comment les politiques se sont traduites concrètement. Celles-ci ont été menées par des « professionnels de la nature » qui circulent dans et entre les empires coloniaux, devenant des « experts internationaux » lors de la décolonisation, et qui poursuivent la même politique, à tel point que l’indépendance des anciennes colonies ne marque pas une vraie rupture. Un principe demeure : on protège la nature à certains endroits pour mieux l’exploiter à d’autres – créant ainsi de nouveaux désastres –, et ce aux dépens des populations paysannes.
Contrairement à une vision européanocentrée, la décolonisation ne marque pas une rupture dans les politiques de préservation de l’environnement des anciennes colonies. Au contraire, les nouveaux États poursuivent l’œuvre destructrice des anciens maîtres, décrit l’historien Guillaume Blanc, dans un entretien au « Monde ».
Propos recueillis par Séverine Kodjo-Grandvaux pour le journal Le Monde
Spécialiste de l’histoire de l’environnement et de l’Afrique au XXe siècle, Guillaume Blanc dirige avec Mathieu Guérin, historien de l’Asie du Sud-Est, et Grégory Quenet, professeur en histoire de l’environnement, Protéger et détruire. Gouverner la nature sous les tropiques (XXe-XXIe siècle). Un ouvrage qui explore la manière dont se sont construites les politiques de la nature en Afrique et en Asie, de la colonisation à nos jours.
Selon vous, les indépendances ne représentent pas une rupture. Pourquoi ?
Il y a, au niveau des politiques de la nature, une continuité entre la période coloniale et la période postcoloniale. En 1961, la conférence d’Arusha (Tanzanie) réunissant experts occidentaux et délégués africains vise à poursuivre le travail accompli à l’époque coloniale. Et débouche sur la création du Fonds mondial pour la nature (WWF) pour « financer les experts qui iront aider les gouvernements africains à s’aider eux-mêmes ». Or ces experts sont d’anciens administrateurs coloniaux qui vont rester jusqu’à la fin des années 1970 à conseiller les pays africains et asiatiques.
Pour autant, nous ne sommes pas dans une situation néo-impériale. Les dirigeants asiatiques ou africains ont très bien su instrumentaliser cette politique pour des raisons économiques et politiques qui leur sont propres. En Tanzanie, par exemple, le tourisme en milieu naturel va représenter jusqu’à 20 % du PIB annuel, et le déplacement des populations a participé à la collectivisation des campagnes sur le modèle soviétique. Pour l’Indonésie, cela a été un moyen de réguler les tensions entre Malais et Chinois en créant des zones où l’État pouvait s’implanter durablement.
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