— Collectif —
Plus de cinq cents professionnelles et professionnels de la protection de l’enfance, avocats, médecins, artistes et activistes féministes, parmi lesquels Caroline De Haas, Isabelle Carré, Danièle Obono ou Alexandra Lamy, regrettent, dans une tribune au « Monde », le report du projet de loi sur la protection de l’enfance, qui devait être examiné au Sénat le 20 octobre.
Depuis le début de l’année, l’inceste et la façon dont nous protégeons (ou non) les enfants des violences ont fait irruption sur la scène publique, faisant passer le mur du son à des millions de voix jusque-là souvent banalisées ou niées. En France, des millions d’enfants sont victimes de maltraitances verbales, physiques ou sexuelles.
Cette semaine encore, le rapport Sauvé a montré l’étendue de ces violences au sein de l’Église catholique. Nous voyons depuis quelques mois une société qui, médusée, prend enfin conscience de l’ampleur des violences sexuelles que subissent des enfants, le plus souvent de la part d’un père, beau-père, frère, oncle ou grand-père.
Or, nous avons appris le report de l’examen au Sénat du projet de loi du gouvernement sur la protection de l’enfance. Plus de 300 000 enfants sont concernés. Ce projet de loi vise à mettre enfin au cœur des débats la protection des enfants placés, une occasion de faire exister dans l’espace public la question des violences sexuelles que subissent les enfants.
Cette décision de report est incompréhensible. Professionnelles et professionnels de la protection de l’enfance, de l’éducation, de la santé, artistes et activistes, nous posons la question : le président va-t-il, avant la fin de son quinquennat, se mobiliser pour une politique de protection des enfants ambitieuse, efficace et financée ?
Droits bafoués
Nous manquons de moyens pour rendre les droits fondamentaux des enfants effectifs. Le droit fondamental de vivre en sécurité. Le droit fondamental d’être nourri et d’avoir un toit. Le droit fondamental à la santé et à l’éducation.
Ces droits fondamentaux sont aujourd’hui bafoués. Nous le voyons chaque semaine sur le terrain, par exemple :
– lorsqu’un homme agresse son beau-fils et que des hauts fonctionnaires, informés, ne préviennent pas le procureur comme ils y sont pourtant obligés ;
– lorsqu’une enfant victime d’inceste doit continuer à visiter son père criminel en prison car ce dernier a gardé l’autorité parentale, ou qu’une autre est remise à son père incestueux à ses 8 ans lorsqu’il sort de prison ;
– lorsqu’un enfant victime de violences arrive à l’hôpital avec des traces d’anciennes fractures, qu’il est soigné et remis à ses parents sans signalement ;
– lorsqu’une enfant placée ou un mineur isolé sont logés en hôtel, ballottés d’une semaine à l’autre dans des structures qui ne sont pas habilitées, sans aucun encadrement éducatif ;
– quand, dans certains départements, entre le moment de la décision de placement prononcée par le juge et le placement effectif, il se passe dix-huit mois, mettant en danger la vie d’enfants ;
– quand des enfants placés en situation de handicap n’ont pas accès à des soins car il y a jusqu’à deux ans d’attente dans les centres médico-psychologiques près de chez eux ;
– lorsque, dans certains territoires, on demande à un professionnel de l’aide sociale à l’enfance de suivre cinquante enfants ou que des structures, faute de postes créés, recrutent des personnes contractuelles qui ne sont ni formées ni diplômées ;
– lorsque, avant toute évaluation psychosociale, on oblige des mineurs isolés étrangers à déposer leurs empreintes en préfecture ;
Communication et grands discours
– lorsqu’un commissariat refuse la plainte d’une mère victime de violences conjugales qui craint pour ses enfants ;
– quand à aucun moment de leur scolarité des centaines de milliers d’enfants n’entendront parler des violences sexuelles et de comment réagir…
Nous pourrions continuer, encore et encore.
Depuis cinq ans, nous assistons de la part du gouvernement à des campagnes de communication et à des grands discours. La mise en place d’une commission inceste dont le rapport final est prévu en 2023 est, de fait, une manière d’éluder lors de la campagne présidentielle un nécessaire débat sur les violences sexuelles faites aux enfants, qui aurait notamment permis de s’interroger sur le bilan du gouvernement.
Du côté des politiques publiques et des moyens financiers alloués à la lutte contre les violences, la présidence d’Emmanuel Macron reste pour l’instant un quinquennat raté.
Samedi 20 novembre est la Journée internationale des droits de l’enfant. Nous manifesterons, avec les associations, les collectifs et aux côtés de #NousToutes, pour exprimer notre colère et notre détermination. Il reste quelque mois au président de la République pour réagir. Nous attendons sa réponse.
Premiers signataires : Caroline De Haas, #NousToutes ; Lyes Louffok, militant des droits de l’enfant ; Madeline Da Silva, activiste féministe ; Andréa Bescond, autrice et réalisatrice ; Adélaïde Bon, autrice et féministe ; Isabelle Carré, comédienne, écrivaine ; Isabelle Demongeot, ex-pro de tennis ; Amandine Gay, réalisatrice, autrice ; Alexandra Lamy, actrice, réalisatrice.
La liste complète des signataires : https://www.noustoutes.org/les-signataires-de-la-tribune/
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