Dans une initiative audacieuse, le député guadeloupéen Elie Califer, représentant du groupe Socialistes et apparentés, s’apprête à déposer une proposition de loi à l’Assemblée nationale fin février. Cette démarche vise à inscrire dans la loi la responsabilité de la France dans le scandale du pesticide chlordécone qui a empoisonné les populations de Martinique et de Guadeloupe. L’objectif central de ce texte ambitieux est de dédommager l’ensemble des victimes, qu’elles aient subi des préjudices sanitaires ou économiques.
Le chlordécone, un pesticide utilisé dans les bananeraies des Antilles entre 1972 et 1993, a été au centre d’une controverse majeure. Son utilisation, malgré son interdiction aux États-Unis dans les années 1970 en raison de sa dangerosité, a engendré des conséquences graves sur la santé des travailleurs agricoles et de la population en général. Alors que la France était informée des risques associés à ce produit, elle a continué à autoriser son utilisation aux Antilles, entraînant une pollution étendue des sols et des rivières.
Elie Califer insiste sur l’importance cruciale de cette proposition de loi pour rétablir la confiance entre la population antillaise et le gouvernement à Paris. Selon lui, « seule la loi peut donner une garantie forte qu’il y a un effort conséquent de la République ». La proposition, prévue pour être présentée lors de la niche parlementaire du groupe Socialiste et apparentés le 29 février, vise à obtenir une reconnaissance formelle de la responsabilité de l’État dans l’empoisonnement des populations et des sols en Guadeloupe et en Martinique. Elle ambitionne également des actions concrètes, telles que la dépollution des îles et l’indemnisation complète des victimes, couvrant à la fois les dommages sanitaires et économiques.
Cette démarche fait suite à une commission d’enquête parlementaire en 2019, qui avait déjà souligné les manquements de l’État dans cette affaire. Cependant, début 2023, la justice avait déclaré un non-lieu, estimant les faits prescrits. Les députés socialistes considèrent que cette proposition de loi est une étape cruciale pour rétablir une justice sociale et environnementale, notamment en élargissant l’indemnisation des victimes du chlordécone.
Face à un scandale sanitaire qui a touché près de 95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais, la proposition de loi appelle à une indemnisation plus large des victimes, tant sur le plan sanitaire que professionnel. Les députés socialistes plaident en faveur de la création d’une « autorité administrative indépendante » pour superviser les indemnisations de manière équitable et transparente.
La commission de l’Assemblée nationale examinera le texte le 14 février, marquant déjà une date historique où chaque député devra se prononcer sur cet enjeu crucial. Le député Elie Califer souligne que le 29 février sera un moment de vérité, marquant l’engagement de chaque député envers les territoires antillais et la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le scandale du chlordécone.
Date : 20 janvier 2024
Résumé de la proposition de loi
Proposition de loi : Reconnaissance de la responsabilité de l’État, réparation des préjudices liés au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique
Préambule
Face au scandale du chlordécone, un insecticide organochloré ayant sévèrement impacté l’environnement et la santé des habitants de Guadeloupe et de Martinique entre 1972 et 1993, une proposition de loi émerge à l’initiative du député guadeloupéen Elie Califer. Cette législation vise à établir la responsabilité de l’État et à mettre en œuvre des mesures concrètes de réparation.
Historique et contexte
Le chlordécone, autrefois connu sous le nom de Kepone à Richmond, en Virginie, a été introduit sous l’appellation Curlone en 1981 dans les bananeraies antillaises. Bien que classé « cancérigène possible » par l’Organisation mondiale de la santé dès 1979, son utilisation a persisté jusqu’en 1993 malgré les condamnations d’industriels aux États-Unis en 1976. La France a autorisé le chlordécone aux Antilles, engendrant des conséquences dramatiques sur l’environnement et la santé.
Conséquences environnementales
L’épandage massif du chlordécone a entraîné une contamination généralisée des sols, des eaux, des rivières et de la mer, touchant aujourd’hui 20 000 hectares en Guadeloupe et en Martinique. La dépollution des terres est estimée à 3,2 milliards d’euros, impactant la pêche, l’aquaculture et l’agriculture, avec des pertes économiques considérables.
Conséquences sanitaires
Près de 95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais sont actuellement contaminés par le chlordécone, selon Santé publique France. Des études ont établi des liens entre cette exposition et diverses pathologies, dont le cancer de la prostate. Bien que récemment reconnu comme maladie professionnelle, les critères d’indemnisation restent restrictifs.
Responsabilité de l’État
La commission d’enquête de 2019 a mis en lumière la responsabilité de l’État, autorisant et maintenant l’utilisation du chlordécone malgré les connaissances scientifiques et les alertes. La proposition de loi vise à officialiser cette responsabilité, ouvrant ainsi un droit à indemnisation pour les victimes et leurs ayants droits.
Mesures proposées
L’article 1er de la proposition de loi a pour objectif de reconnaître formellement la responsabilité de l’État et d’indemniser les victimes, tout en fixant des objectifs de dépollution des terres et des eaux contaminées. La création d’une autorité administrative indépendante, similaire à celle pour les victimes des essais nucléaires en Polynésie, est recommandée pour gérer les indemnisations.
Commission de suivi et perspectives
La mise en place d’une commission de suivi des politiques publiques contre les effets du chlordécone est envisagée, rassemblant des représentants locaux, des parlementaires et des experts. La proposition de loi représente une première étape, appelant à des plans chlordécone ambitieux visant le « zéro chlordécone ».
Le député Elie Califer, à l’origine de cette initiative, présentera cette proposition de loi au sein du groupe Socialistes et apparentés le 29 février, marquant un moment décisif pour la reconnaissance de la responsabilité de l’État et la réparation des préjudices causés par le chlordécone aux Antilles.