Reprendre enfin le chemin des salles de cinéma, certes… Mais peut-on prétendre que celles-ci soient ouvertes de nouveau au public, quand par exemple la salle Frantz Fanon de Tropiques-Atrium — dont la jauge serait de 276 places —, ne doit en raison des mesures de protection contre le coronavirus recevoir qu’une cinquantaine de spectateurs ? Si tel est le protocole officiel, il n’y a pas là de quoi sauter de joie ! C’est mieux que rien, me direz-vous, c’est un début… et si l’on veut en croire un célèbre fabuliste, « patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » ! Mais la frustration est si grande, d’avoir dû nous contenter toutes ces semaines d’images étrécies sur nos petits écrans, que nous rêvons à présent de longues séances offertes sur les grands, blottis que nous serions, non plus au fond de nos canapés de salon, mais dans les rouges fauteuils de nos cinémas vraiment retrouvés ! (Janine Bailly)
« PROJET H », un court-métrage de MAHARAKI
Lu, ce compte-rendu, le vendredi 26 Juin 2020, sur Montraykreyol, in « Le bloc-notes de Raphaël Confiant »
Après deux mois et demi de confinement, retrouver les salles obscures est, paradoxalement, revenir à la normalité, à une certaine forme de normalité en tout cas.
C’est ce à quoi la réalisatrice martiniquaise Maharaki avait convié une cinquantaine de privilégiés (mesures-barrière obligent !) à la salle Frantz FANON de l’Atrium ce jeudi 25 juin. Le court-métrage présenté, « PROJET H », vous plonge dès les premières minutes dans la magie du cinéma, ce qui est sans doute un cliché, mais qui dans le cas présent, ne l’est pas du tout. On est tout de suite happé par les filets de la “magie-Maharaki” et par le jeu des acteurs : Valère Egouy Colette Césaire, Jean-Claude Duverger et Élie Pennont. Ici, « magie » signifie tout simplement qu’on y croit.
On croit à cette réunion de hauts responsables haïtiens qui, incrédules, entendent le haut commandant de l’armée leur faire la proposition suivante : déclarer la guerre aux États-Unis. Rien que ça ! Et dans quel but, s’il vous plaît ? Eh bien, dans celui de pouvoir reconstruire le pays ! En bonne logique, le spectateur est en droit de se dire qu’il s’agit d’une blague, d’une mauvaise blague même, et de décrocher. Or, pas du tout ! Il y croit et c’est cela, la magie-Maharaki. Il écoute le chef militaire égrener la liste des pays que les États-Unis ont envahis et reconstruits. Ou plus exactement : ont été contraints de reconstruire, Grenade, Liban, Saint-Domingue, Irak etc…
Le jeu des acteurs est si criant de vérité qu’à l’instant où, à la toute fin de ce court-métrage de quinze minutes, on découvre la vérité (qu’on ne révélera pas), la stupéfaction du spectateur est totale. Il y a aussi tout l’art de Maharaki, sa façon de mettre en gros plan des visages au bon moment ou de les placer dans une semi-pénombre. Il y a un rythme qui n’appartient qu’à elle et qui donne l’illusion qu’on vient d’assister à un… long-métrage. Quinze minutes de ravissement, d’étonnement et de fierté pour la Martinique.
Quand on sait que « PROJET H » a été tourné en une nuit, de 14h à 4h du matin, sans aucun moyen financier, grâce à l’esprit du « koudmen » encore si présent dans notre culture créole, bien que cette dernière soit malmenée par la mondialisation galopante, quand on mesure le travail des cameramen, des preneurs de son et de la monteuse, on comprend à quel point le cinéma est une activité collective. En effet, nous, téléspectateurs ordinaires, ne retenons guère que les noms des acteurs principaux et du réalisateur du film que l’on vient de voir et nous jetons un oeil distrait au générique de fin qui liste toutes celles et tous ceux qui ont contribué à sa réalisation. Un court-métrage permet de mettre mieux en valeur ces derniers et ce n’est que justice.
Une chose est sûre : nous disposons en Martinique de tout le personnel technique permettant de réaliser toutes sortes de films quel qu’en soit le format, et des films de qualité. Il est donc regrettable que nos collectivités ne soutiennent pas davantage notre cinéma qui, comme l’a dit Maharaki dans le débat qui a suivi la projection, est « notre miroir ». Financer des séries réalisées par des non-martiniquais n’est pas condamnable en soit, ce qui l’est, par contre, c’est que lorsque celles-ci tournent chez nous, elles puisent rarement dans ce gisement de compétences.
Mais, et cela a été également souligné au cours du débat qui a suivi « PROJET H », il y a aussi le secteur privé, les mécènes, qui peuvent, eux aussi, apporter leur pierre à la consolidation d’une activité cinématographique martiniquaise. Si la musique, la peinture ou le sport bénéficient depuis longtemps de leur aide, le cinéma, lui, fait figure de parent pauvre alors même que nous disposons de réalisateurs, d’acteurs et de techniciens de talent. Maharaki n’en est pas à son coup d’essai. Elle est internationalement connue et ses films précédents ont été présentés dans une trentaine de pays à travers le monde, où ils ont récolté des prix. « PROJET H » est d’ailleurs d’ores et déjà programmé dans des festivals en France, aux États-Unis, en Iran, au Japon etc…
Le rêve de Maharaki est de produire un long-métrage, une comédie romantique créole, déjà écrite par elle, déjà prête à être tournée, mais qui ne peut encore voir le jour car faire du cinéma coûte cher. Ce film nécessiterait la somme de 2 millions d’euros, mais seulement 500.000 seraient nécessaires pour trouver un producteur. Autant dire presque rien quand on voit les sommes qui sont dépensées ici et là pour des manifestations certes populaires, mais éphémères. Un film, lui, laisse une trace. Indélébile. Une « trace » au sens où l’entend Édouard Glissant, c’est-à-dire la marque tout à la fois de notre trajectoire historique et l’empreinte de notre identité plurielle.
Reste à espérer que le projet de Maharaki ne demeurera pas un simple rêve. Il faut l’espérer pour elle, pour son talent, mais aussi pour la Martinique.
Jeune cinéaste martiniquaise installée à la Barbade, Maharaki est également productrice, artiste peintre, scénariste et réalisatrice, déjà primée dans plusieurs festivals de cinéma nationaux et internationaux. Après un cursus riche, comportant entre autres des études en « Arts et techniques » à l’École Régionale d’Art Visuel de la Martinique, et un passage à l’École Internationale de Création Audiovisuelle et de Réalisation de Paris (EICAR) pour y étudier la réalisation cinématographique, elle a fait ses armes dans le court-métrage, mais aussi dans la pub, le documentaire, les clips ou les vidéos institutionnelles.
Nous connaissons et aimons Marahaki, pour avoir vu et apprécié, voici quelques années déjà, sur les écrans de l’Atrium et de Madiana, son court-métrage « Vivre », une comédie dramatique tendre qui nous projette dans la société moderne à travers les choix de vie de Tom, un garçon de dix ans, qui fait preuve d’une maturité étonnante. C’est le monde des adultes regardé par les yeux d’un enfant. « Qu’est ce que tu voudrais faire plus tard ? » demande l’institutrice à ses élèves. Tandis que ses camarades répondent avec insouciance, Tom réfléchit à la question. Il s’engage alors dans un monologue au cours duquel il visualise plusieurs choix de vie… « Par cette question classique et simple, j’ai souhaité mettre en lumière le trouble qu’elle peut engendrer lorsque la réponse est mûrement réfléchie. “Vivre” traite de la question du libre-arbitre, de la responsabilité et des conséquences de ses choix », a confié la réalisatrice au journal France-Antilles.
En 2017, elle écrit et réalise « Jocelyne – Mi tchè mwen », un long-métrage documentaire intimiste de 89 minutes, consacré à la chanteuse, Jocelyne Béroard, un film chaleureusement accueilli à la Martinique !
Fort-de-France, le 26 juin 2020