Pointe-à-Pitre le 22 juin 2015
Madame, Messieurs les Députés Messieurs les Sénateurs,
La LDH Guadeloupe, par son action d’aide et assistance auprès des caribéens immigrés, est au cœur des difficultés et tracasseries administratives que ces derniers rencontrent au quotidien, soit pour obtenir un rendez-vous avec l’administration préfectorale, à l’effet de déposer une demande de titre de séjour en vue de leur régularisation sur le territoire, soit pour l’obtention d’un titre de séjour qui sont souvent rejetés, alors même, que certains remplissent les conditions exigées par le CESEDA.
La LDH qui s’est toujours opposée à la logique restrictive et répressive qui a inspiré, depuis des années, les politiques d’immigration menées par les gouvernements successifs méconnaissant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, laquelle autorise quiconque à quitter son pays et à chercher refuge ailleurs, fragilisent la situation des ressortissants des pays de la caraïbe, (singulièrement Haïti, Saint-Domingue ou la Dominique) se trouvant sur le territoire de la Guadeloupe.
La LDH Guadeloupe, de par son expérience d’accompagnement dans la défense des droits des migrants étrangers sur le terrain, est en mesure de juger que la politique du gouvernement actuel est marquée, malgré quelques avancées concernant les possibilités de régularisation offertes aux parents d’enfants scolarisés, par une continuité voire une aggravation tant en matière de séjour et de droit d’asile que de gestion de situation des dossiers par la Préfecture.
Un nouveau projet de loi relatif au droit des étrangers va être soumis à votre assemblée très prochainement.
Forts de notre pratique et particulièrement soucieux du respect, notamment, de la Déclaration Européenne des Droits de l’Homme, nous souhaitons par la présente attirer votre attention sur les mesures d’exception pour l’outre-mer, particulièrement pour la Guadeloupe, que contient le texte qui vous est soumis. En effet, celui-ci reprend la quasi-totalité de ces mesures d’exception actuellement appliquées. Il s’agit d’un régime dérogatoire qui prévoit une protection juridique au rabais comparée à celle pratiquée en France « hexagonale ».
Ce régime d’exception porte essentiellement sur deux points :
1. Rétablissement du recours qui suspend l’exécution de la mesure d’éloignement jusqu’au jugement du Tribunal Administratif.
Le projet de loi revient très partiellement sur cette mesure puisqu’il prévoit que seul le dépôt d’un « référé liberté » sera suspensif de l’exécution d’une mesure d’éloignement jusqu’à la décision du juge. Cette procédure est cependant exceptionnelle pour les cas de très graves atteintes aux droits fondamentaux, tels le risque pour la vie en cas d’éloignement.
Ce dispositif ne suffit pas à garantir un droit à un recours effectif prévu par l’article 13 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. La Cour européenne a du reste condamné la France dans l’arrêt De Souza Ribeiro du 13 décembre 2012 qui stipulait que le droit au recours effectif exige que l’État français fournisse une possibilité effective de contester la décision d’expulsion et d’obtenir un examen offrant des garanties procédurales adéquates.
Même la procédure du « référé suspension » qui consiste à demander l’examen de la légalité de la mesure est inopérante car le recours n’est pratiquement jamais examiné à temps.
Les expulsions sont exécutées de manière beaucoup plus expéditive en Guadeloupe (4 jours) que dans l’ »Hexagone » (11 jours) si bien que les personnes qui ont réussi à déposer un recours sont expulsées avant la décision du juge.
Dans ces conditions, la Préfecture est libre de procéder aux expulsions sans crainte d’une censure des juges ! … Les étrangers en Guadeloupe n’ont-ils pas les mêmes droits humains que les étrangers vivant dans l’ »Hexagone » ?
2. Les moyens de contrôle renforcés
En France, un contrôle ne peut être fait que si une personne est soupçonnée d’avoir commis ou de commettre un délit, ou lorsque le procureur a pris des réquisitions permettant des contrôles sur un lieu précis et à une heure donnée. Or, en Guadeloupe, les forces de l’ordre sont autorisées à contrôler tout le monde sans motif aucun dans une zone géographique situé sur une bande de 1 km de tout le littoral et de 1 km le long de la nationale 1 (de Basse-Terre à Pointe-à-Pitre) et de la nationale 4 (de Pointe-à-Pitre à Saint-François) Autrement dit on peut contrôler tout le monde pratiquement partout en Guadeloupe sans avoir à justifier du comportement de l’intéressé (contrôle dans les transports en commun, les passagers des voitures sans l’autorisation du conducteur – pourtant interdit en France – dans les lieux privés (magasins ), dans des quartiers ciblés, contrôles au faciès, …).
Cumulés à une possibilité réduite de demander l’examen des conditions d’interpellation par le juge, ces pouvoirs exceptionnels mènent à des interpellations arbitraires et ne sont compensés par aucune garantie de procédure. Il convient donc de supprimer les dispositions qui les prévoient d’autant plus que le projet de loi envisage de les étendre à la Martinique !
Les arguments présentés pour le maintien de ce régime d’exception ne résistent pas à un examen sérieux :
L’application de ce régime dérogatoire n’a pas augmenté le nombre d’expulsions, au contraire, ce nombre a fortement baissé entre 2005 et 2012. Le nombre de migrants qui résident en Guadeloupe reste faible et le phénomène n’est pas nouveau. La circulation d’île en île dans la Caraïbe constitue une tradition qui remonte à l’époque précolombienne ! Si la circulation reste importante, les établissements, durables ou définitifs, ne sont pas aussi nombreux que certains le prétendent.
Le prétendu engorgement des tribunaux : les usagers ne se sont pas privés d’exercer leur droit de saisir la justice, même si celle-ci se prononce trop tardivement. De plus, pour éviter la mesure d’éloignement forcée et immédiate, la seule parade aujourd’hui est le dépôt express d’une demande d’asile, ce que ne manquent pas d’utiliser les usagers, si bien que l’OFPRA est encombré de dossiers dont la plupart ne pourront aboutir.
On le voit, ces mesures d’exception sont inopérantes, injustes et illégitimes.
La LDH vous prie donc, pour une administration de la justice respectueuse des droits élémentaires de tout être humain, de déposer les amendements nécessaires afin que le régime d’exception prévu par le projet de loi soit purement et simplement supprimé.
Nous restons bien entendu à votre disposition pour échanger avec vous de vive voix sur ce sujet à votre plus prochaine convenance et serions heureux de connaître votre point de vue ainsi que vos intentions lors de l’examen du texte.
Dans l’attente, nous vous prions de croire, Madame, Monsieur, à l’expression de nos salutations respectueuses.
Pour la LDH Guadeloupe
Hubert JABOT Président