— Par Jean-Marc Robin —
Entre souffrance et engagement
La souffrance des enseignants, du moins d’une part croissante d’entre eux, est une réalité(1). Elle est d’abord imputable à notre Ministère qui laisse s’engager dans une profession des jeunes collègues qui ne réussiront jamais face aux élèves; elle est imputable à une Institution qui est prisonnière de schémas pédagogiques anciens et d’une préoccupation uniquement quantitative: une classe pour 35 lycéens ou pour 30 collégiens. Pourra-t-on un jour imaginer qu’on peut obtenir de meilleurs résultats avec moins d’heures d’enseignement mais réalisées ?(2) dans de meilleures conditions Que dire encore de l’absence de formation continue digne de ce nom: les professeurs partent peu en stage alors qu’ils devraient consacrer au développement de leurs compétences au moins 15 jours par an comme les cadres des industries de pointe.
Notre Institution est, par ailleurs, incapable de penser « la deuxième carrière des professeurs » et d’accompagner les enseignants qui veulent quitter l’Ecole et se lancer dans un nouveau métier(3). Les Rectorats ne disposent ni des moyens humains – hormis quelques conseillers en mobilité trop occupés -ni des moyens financiers pour faciliter ces reconversions. Si les professeurs sont d’incroyables râleurs – c’est l’image qu’on leur renvoie -il faut bien dire qu’ils ont de bonnes raisons de l’être: indigence de la formation continue, un pouvoir d’achat qui s’effondre alors que les néo-titulaires sont recrutés à bac + 5 et un système qui récompense peu voire pas du tout le mérite individuel et collectif !(4) La gestion des ressources humaines n’existe pas dans l’Education Nationale, pourtant cela devrait être le premier chantier sur lequel devrait se pencher chaque nouveau ministre.
Sans nier la souffrance, le stress et le déclassement, il faut marteler contre l’opinion courante que l’écrasante majorité des enseignants sont heureux dans leur métier, qu’ils s’impliquent et s’engagent fortement au service de la réussite des élèves. Beaucoup innovent, expérimentent, s’appuient sur leur créativité pour proposer à leurs classes des activités pédagogiques riches et stimulantes, pour accompagner les élèves fragiles.
Le corps enseignant a changé, il s’est rajeuni et féminisé, les jeunes professeurs sont plus connectés, plus ouverts au changement, ils sont davantage disposés à coopérer et ils sont prêts à s’investir « davantage » ou « autrement » pour peu que leurs efforts soient reconnus. Si les plus expérimentés sont plus attachés à leur autonomie et sont aussi plus syndiqués, ils sont tout autant mobilisés pour faire réussir les élèves. Quelles que soient les générations l’image d’un corps enseignant étriqué et replié sur lui-même est injuste. Pour le dire autrement, la plupart des professeurs défendent leur discipline et apprécient de travailler avec les élèves, en somme ils aiment transmettre et éduquer, ils aiment tout simplement leur métier !
L’établissement scolaire et intelligence collective
La réussite des élèves se joue dans l’établissement scolaire. Même si les chefs d’établissement ne sont pas dans les classes, la qualité des relations entre les enseignants et les personnels de direction est essentielle, à la fois pour le climat scolaire mais aussi pour encourager et susciter la créativité éducative et pédagogique des équipes. Mais les malentendus sont nombreux au point que dans certains établissements chacun s’enferme dans sa classe ou dans son bureau. (…)
Qu’est-ce qu’un bon professeur ? Regards des personnels de direction
Si la maîtrise des savoirs académiques et la régulation du groupe-classe sont des exigences, pour les personnels de direction le bon professeur est, aujourd’hui, un enseignant qui travaille en équipe, s’investit dans l’établissement et adopte une démarche tournée vers l’innovation pédagogique. Néanmoins, la majorité des chefs d’établissement continuent de mettre l’accent sur la classe, la qualité de la relation avec les élèves et leurs résultats aux examens pour apprécier la valeur professionnelle des enseignants.
Maîtriser sa discipline et maîtriser sa classe
Les personnels de direction soulignent la nécessité d’être au point sur les connaissances et de savoir les transmettre. La question de l’ordre scolaire est une préoccupation majeure des chefs d’établissement, si les problèmes sont plus aigus en collège, ils existent également au lycée notamment en classe de seconde. Le rapport au savoir est à construire avec la plupart des élèves, le professeur doit véritablement démontrer l’intérêt et le sens de chaque séquence pédagogique faute de quoi il se heurte, au mieux, à de la passivité associée à de l’indifférence ou à des formes de chahut susceptibles de se transformer en débordements: les élèves parlent fort et recouvrent la voix du professeur, ils crient, se déplacent sans permission, se battent entre eux, etc.
Cette difficulté à enseigner à un public qui n’investit pas dans les savoirs est soulignée par Liliane, professeur d’histoire-géographie en lycée : « Tous les septembres sont difficiles, de plus en plus difficiles, il te faut faire les classes, les élèves que tu as en terminale ça va, les élèves que tu prends en seconde c’est un effort terrible. (…) Moi, j’ai une matière facile, et quand ils ne sont pas intéressés du tout, bon, tu dis qu’il faut aller chercher leurs centres d’intérêt à eux, mais c’est que je ne sais pas les voir, si tu veux le silence tu leur parles d’eux, tu leur parles de leur projet, de leurs difficultés, tu fais du relationnel ».
Les formes de l’engagement professionnel des enseignants
L’administration centrale et les chefs d’établissement souhaitent que les professeurs s’engagent pleinement dans leur métier à la fois dans la classe mais aussi dans l’établissement, c’est à cette condition que l’Ecole pourra mieux accueillir les élèves et lutter contre l’échec scolaire source de décrochage social. Si l’investissement des enseignants dans leur collège ou lycée peut s’expliquer par une culture d’établissement, il doit aussi être envisagé comme le résultat d’un arbitrage individuel. Pour conclure, nous nous demanderons pourquoi le travail en équipe est aussi peu répandu.
Engagement et ressources
Dans Quand l’école se mobilise (2002) Agnès Van Zanten et André Robert ont étudié la mobilisation des équipes pédagogiques dans trois établissements difficiles de la région parisienne: une école, un collège et un lycée. Leurs travaux les ont conduits à distinguer trois profils d’enseignants: les mobilisés en puissance, les mobilisés conditionnels et les mobilisés conditionnés. Cette typologie présente l’intérêt de ne pas opposer une minorité active à une majorité passive, les chercheurs insistent sur le rôle du contexte local et de l’équipe de direction pour faire grandir la mobilisation des professeurs. Sans contester l’intérêt d’une telle démarche qui met l’accent soit sur les habitus professionnels soit sur la dynamique collective, nous allons considérer qu’il y a un véritable travail de délibération des acteurs, ces derniers choisissent une forme d’engagement en fonction de leurs ressources et des opportunités qu’offre l’établissement.
Quelles sont ces ressources ? S’il est difficile de toutes les recenser, on peut considérer que la confiance, le prestige (lié au grade ou à la discipline), l’ancienneté dans le métier, les compétences acquises dans la conduite de projet sont les ressources nécessaires pour se mobiliser. Il faut encore être disponible (intellectuellement / psychologiquement) et avoir du temps.
1 Cf La souffrances des enseignants (Hélou, Lantheaume, 2008)
2 Le numérique offre la possibilité d’enrichir les cours et de faire travailler les élèves autrement comme le montre les expériences de « classes inversées » ou la diffusion de « cours en ligne » (MOOC)
3 Voir sur ce sujet le travail de l’association Aide-aux-profs.org
4 Les organisations syndicales partagent cette responsabilité en défendant contre l’évidence d’un engagement professionnel différencié le principe de l’ancienneté et la priorité aux postes sur la revalorisation des rémunérations.
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INTRODUCTION pp 3 à 6
1-Qu’est-ce qu’un bon professeur ? Regards de personnels de direction. pp 7 à 10
2-Les formes de l’engagement professionnel des enseignants pp 11 à 17
3-Qu’est-ce qu’un bon chef d’etablissement ? Regards croisés. pp 18 à 24
4-Le chef d’établissement : un manager démuni ? pp 25 à 35
5-Les relations professeurs / chefs d’établissement pp 36 à 43
6-L’évaluation des enseignants par les chefs d’établissement pp 44 à 57
7-Des styles de management: une typologie pp 58 à 63
CONCLUSION pp 64 à 71
BIBLIOGRAPHIE PP 72 A74
L’AUTEUR p 75