— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Les réactions au chahutage récent de Marine le Pen par certaines organisations nationalistes lors de sa visite en Guadeloupe semblent être le révélateur d’un véritable malaise de l’opinion publique. De nombreuses réactions de guadeloupéens se sont manifestées pour dénoncer cette action considérée comme antidémocratique et contreproductive.
Au delà de l’anecdote de la supposée violence de cette manifestation, certains observateurs de la vie politique ont même été jusqu’à prédire que cette situation de tension allait profiter à Marine le Pen. Et que cette victimisation de la patronne du RN allait contribuer pleinement à booster le vote Rassemblement National en Guadeloupe. On verra bien ce qu’il en ressortira des urnes le 9 avril 2022 !
Mais tout cela montre après coup l’intérêt de l’analyse du vote rassemblement national en outre-mer. Le prochain scrutin présidentiel va à notre avis montrer une poussée sans précédent du Rassemblement National mais aussi de l’Union populaire de Mélenchon dans tous les territoires d’outre-mer. Qui vote RN en outre- mer ? Et pour quelles raisons ? Comment expliquer l’enracinement électoral de ce parti dans les territoires d’outre- mer ?
Cette poussée est-elle inexorable ?
L’ augmentation attendue du nombre des voix le 9 avril en Guadeloupe en faveur de Marine Le Pen est en premier lieu un phénomène irrépressible lié à une progression antérieure déjà remarquable dans l’ensemble des territoires d’outre-mer sous le quinquennat de François Hollande. Avec quelques 177 000 voix recueillies au premier tour de la dernière présidentielle, le rassemblement national a été le grand gagnant de ces élections présidentielles en Outre-Mer.
Les suffrages pour Marine Le Pen ont été multipliés par deux voire par trois sur le temps des quinquennats Hollande et Macron.
Selon nous, ce vote exprime avant tout une désillusion, une exaspération devant l’absence de réponse aux attentes du quotidien mais aussi une adhésion aux propositions de la candidate (immigration, insécurité, pouvoir d’achat, retraite à 60/62 ans). A notre avis, il faut s’attendre à un immense coup de gueule du corps électoral local à l’encontre des partis traditionnels qui ne seront vraisemblablement pas suivi dans leur consigne de vote. Pour autant, la protestation s’est toujours fortement exprimée aux Antilles mais plutôt à travers un vote de gauche, depuis 2002. Or cette fois-ci, la nouveauté c’est que le bipartisme a volé en éclat avec l’entrée fracassante du protestataire dans l’électorat de droite et de gauche. Longtemps considéré comme un vote d’exaspération, le vote rassemblement national serait en passe, entend-on de plus en plus souvent, de se transformer en vote d’adhésion en outre-mer. Mais selon nous, en outre-mer, le RN reste pour beaucoup de nos compatriotes un vote sans véritable illusion, notamment du côté des plus jeunes et des couches populaires qui se sont rapprochés du RN au moment de l’arrivée de Marine Le Pen et son processus réussi de dédiabolisation. Plus que le programme du rassemblement national, c’est la possibilité de renverser le « système » qui les séduit. Ils s’y résolvent plus qu’ils n’y engagent de réels espoirs. Cette indifférence à l’égard des idées d’extrême droite du programme est une aubaine pour le RN. Il peut ainsi se revendiquer de tous les héritages, convoquer les figures historiques les plus connues notamment de gauche comme Jaurès ou de droite comme De Gaulle et mêmes celles qui ne s’inscrivent pas dans sa tradition idéologique sans que cela ne pose de problème. Attaquer le RN sur l’incohérence de son discours anti immigration, le manque de crédibilité de ses propositions économiques, dénoncer le racisme réel ou supposé de ses dirigeants ne produit donc plus aucun effet sur certains des électeurs d’outre-mer de plus en plus nombreux.
Les nationalistes locaux ne jouent-ils pas avec le feu en minimisant la nouvelle popularité d’une personnalité comme Marine Le PEN en outre-mer. Une question de fond également est celle du laxisme de l’État en matière d’immigration et d’insécurité quotidienne, ainsi que la faiblesse de l’État incapable selon certains citoyens de faire respecter l’ordre républicain comme on l’a vu récemment lors des multiples barrages pour protester contre l’obligation vaccinale, tout cela sert les intérêts de marine le Pen et du rassemblement national : si vraisemblable montée de Marine Le Pen, il y aura selon nous en Guadeloupe, comment l’interpréter ? Vague de fond ou poussée passagère ?
Les souhaits de victoire de nombreux citoyens font dire qu’en outre-mer que Marine Le Pen a attiré non seulement des gens de droite et du centre mais aussi, plus massivement que les autres candidats, des électeurs sans affinités partisanes préétablies. le fond de l’air électoral n’est plus incompatible avec l’idéologie du Rassemblement National, qu’il s’agisse du problème migratoire non résolu à ce jour en Guyane et à Mayotte, du sentiment de déclassement économique et social et même de la notion de préférence locale. ce vote rassemblement national en outre-mer serait un vote de classes « populaires », représentatifs des « ouvriers et paysans » et non de » métros » ou encore des assistés du système particulièrement nombreux à voter Mélenchon. En outre-mer le vote RN est devenu celui des oubliés, des zones rurales ou populaires. Une croyance forte, instrumentalisée par Marine Le Pen et le rassemblement national, qui ne cessent de se présenter comme les défenseurs du « peuple », des « exclus », des « petites gens » qui se sentent pris en étau entre d’un côté l’élite d’obédience libérale, le système, au-dessus d’eux, et en dessous les immigrés et les assistés qui vivraient exclusivement des aides sociales auxquelles ils n’ont pas droit pour leur part. C’est d’abord dans des territoires en difficulté comme les outre- mer où la méfiance à l’égard de la politique est installée, là où les gens votent de moins en moins, que le RN a récemment progressé comme on a pu le constater à l’analyse des résultats de la dernière élection européenne en Guadeloupe et Martinique. La palme demeurant à l’île de la Réunion. Ce parti bénéficie des voix d’électeurs de droite et en moindre mesure de gauche, et de celles de jeunes qui n’y croient plus vraiment après plus de cinquante années de progrès social inhérent à la départementalisation. L’ascenseur social serait présentement bloqué du fait de la crise, et cela provoque nécessairement des frustrations qui se manifestent à travers un désir d’alternance du pouvoir. Aujourd’hui, la question qui se pose est celle du poids des voix de l’outre-mer lors du prochain scrutin : Ça reste à voir, mais je note que tous les principaux candidats donc les plus crédibles ont fait le déplacement en Guadeloupe hormis Macron, et je sais le pourquoi cette absence?
En vérité il existe une peur diffuse au niveau d’une certaine frange de la population que les prochaines réformes du président de la République ne fassent très mal à l’outre-mer qui est le premier bénéficiaire des largesses du modèle social français, mais dont le financement n’est plus assuré si ce n’est par la dette depuis fort longtemps.
Le scrutin s’annonce très serré selon les derniers sondages et l’outre-mer peut faire la différence.
D’autant que le rejet de certains candidats n’est pas à sous estimer dans le contexte actuel de crise.
Cela étant, la progression du RN qui est un parti vierge de toute exercice du pouvoir, sera bientôt fortement ressentie en Guadeloupe lors de la prochaine présidentielle, en ce sens que l’idée est que ce phénomène n’est en vérité que la résultante d’autres phénomènes, comme la confusion idéologique croissante entre droite et gauche, entre gauche assimilationniste et gauche identitaire, et l’abstention massive qui fait que le PS et LR ont des clientèles électorales de plus en plus réduites en Guadeloupe : c’est un vote qui n’est pas vraiment porteur d’espoir de progrès social, et dont le cursus idéologique ne ramène pas aux urnes des gens qui s’abstiennent.
Jusqu’alors, hormis la question récurrente de l’immigration non contrôlée, c’est surtout le fort niveau d’abstention, et la faiblesse de la gauche et de la droite, qui lui ont permis de ‘performer’ et de se rendre plus visible. Sociologiquement, ce vote rassemblement national fait également très fort sur les plus de 50 ans qui se sentent déclassés et surtout également insécurisés. Ce qui différencie donc de l’électorat Mélenchon. On est en train de vivre, avec un effet retard, ce qui s’est passé dans l’hexagone, l’entrée vigoureuse du RN sur le corps électoral de droite et de gauche. La forte poussée de Marine Le Pen dans les sondages s’explique pour le moins par les deux quinquennats qui viennent de s’écouler et le vote Le Pen semble désormais avoir sa propre autonomie. Difficile, en l’état, de se livrer à une lecture quantitative, car la grille historique droite-gauche est désormais brouillée en Guadeloupe bien que restant encore à la marge valide en France hexagonale, mais il faut y superposer une autre grille de lecture avec d’un côté des électeurs pro-vax et de l’autre côté, à droite comme à gauche, des électeurs anti-vax qui demeurent très critiques envers Emmanuel Macron. Cette nouvelle ligne de démarcation électorale n’est pas à négliger pour l’analyse du prochain scrutin.
Les citoyens d’outre-mer souhaitent que la priorité pour tous les responsables politiques est que la politique ne recule plus. Elle a trop reculé, depuis bientôt dix années et il y a de plus en plus une profonde aspiration des citoyens d’outre-mer à voir les choses changer dans leur pays respectifs. Il faut entendre et comprendre l’exaspération profonde des citoyens d’outre-mer, de ceux qui n’en peuvent plus d’une politique migratoire laxiste comme en Guyane et Mayotte, de ceux qui travaillent dur et qui n’y arrivent plus, de ceux qui se sentent méprisés et dépossédés de leur identité, de ceux qui se sentent spoliés du fruit de leur travail par la crise, d’être fragilisés dans leurs emplois par la révolution technologique, et qui perdent toute confiance dans les élus locaux réputés incapables de solutionner les problèmes du quotidien des guadeloupéens. En bref, la politique paternaliste de l’État français, et la brosse à reluire à la papa, c’est fini. Ce qui signifie que nous devons complètement revoir nos modèles économiques, les politiques de développement ainsi que les leviers de l’action publique. Le processus économique actuel tend à exclure du système de production les personnes peu ou pas qualifiées. En outre, ces catégories semblent être celles qui sont le plus affectées par les conséquences concrètes des transformations économiques et sociales contemporaines : délocalisations de certaines organisations dans l’hexagone, menace du numérique, précarité de l’emploi, logement dans des quartiers difficiles, accès limités à certains services publics, agressions physiques, chômage des jeunes, etc. Pour ces catégories, une sorte de contrat de sécurité implicite qui les liaient à diverses instances a été brisé, remettant ainsi en cause un grand nombre de certitudes : garantie d’un emploi stable par l’entreprise, d’une retraite assurée et de remboursements de soins par le système de Sécurité sociale, d’une sécurité physique et de certains services publics par l’État comme l’Hôpital, d’une représentation et d’une prise en compte de leurs préoccupations par des instances intermédiaires, au premier rang desquelles des organisations syndicales plus responsables, d’une stabilité affective par le couple ou la famille, d’une qualité de l’alimentation, ou de voir la génération suivante bénéficier de meilleures conditions de vie. Toutes ces certitudes volent aujourd’hui en éclat d’où la fin d’une époque. Cela se traduit outre – mer par l’existence de vives tensions identitaires au sein de la société et une perte de repères et la quête d’une explication d’autant plus simple que la situation est complexe, et donc de la recherche de bouc émissaires comme les nationalistes et les étrangers qui menacent selon eux l’identité Française des territoires.
Comment faire pour penser un nouveau type de développement axé sur la forte accélération de la production locale qui ferait reculer le vote des extrêmes en Outre-Mer et cela ressemble – t- il à une gageure dans le contexte actuel de crise identitaire doublée d’une crise économique ?
Le futur de nos pays respectifs est ainsi interpellé et l’on ne pourra pas continuer longtemps à naviguer entre le rafistolage institutionnel et l’incantation identitaire….!
Jean-Marie NOL