— Par Jean-Marie Nol, économiste —
L’économie de la Guadeloupe devrait nettement marquer le pas en 2020 . Cette détérioration des chiffres serait avant tout liée à une conjoncture défavorable. S’agit-il d’un trou d’air dans l’activité ou d’une tendance sur plusieurs années ?
Seul l’avenir nous le dira, mais pour le moment, l’incertitude gagne et détruit l’économie à petit feu . Jour après jour, la crise sanitaire du Coronavirus se transforme et devient une crise économique et sociale . Plus qu’un virus, la crise du coronavirus est une expérience de décroissance et de démondialisation accélérée. Qui pouvait penser que le coronavirus ferait basculer le pays Guadeloupe entier dans la récession et bousculerait complètement nos certitudes sur le mythe d’un progrès social infini dans le cadre de la départementalisation ?
Parmi ces certitudes, il en va désormais du questionnement de la survie même de l’Etat providence avec un modèle social français en grande difficulté financière . Il en est également de la question de la croissance.
La croissance économique peut se définir comme une augmentation durable de l’activité économique d’un pays. Pour mieux comprendre, c’est la richesse totale produite par la Guadeloupe. Elle se mesure grâce à l’évolution trimestrielle ou annuelle du produit intérieur brut ou PIB. En Guadeloupe , le taux de croissance est régulièrement publié par l’INSEE.
Cette croissance économique correspond à une augmentation de la production sur le long terme (augmentation durable de la quantité et de la qualité des biens et des services produits chaque année).
Force est de constater un ralentissement de la croissance économique en Guadeloupe depuis plusieurs années. Ainsi la croissance était en 2017 de +3,7 % , puis en 2018 de 2,1% et pour finir en 2019 de l’ordre de 0,6%. Le plongeon avait beau avoir été maintes fois annoncé par nous dans nos précédents articles , il n’en est pas moins vertigineux. Selon les dernières données publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la Guadeloupe va connaître en 2020 le plus fort recul de son activité depuis au moins la crise sociale de 2009 , avec une chute envisagée du produit intérieur brut (PIB) de 12, 7% .
Dans le détail, la consommation des ménages, principale composante de la croissance de la Guadeloupe , va reculé de 18% et la production de biens et de services va s’affaissée de 12%, avec un recul de l’industrie manufacturière de 14,8%. Les investissements dégringoleront de 27,8%, les exportations de 15,5%, tandis que les importations se contracteront de 13,3%, selon nos calculs prévisionnels . Malgré tout, le bilan aurait pu être encore plus noir et la machine à consommer en Guadeloupe s’est remise en marche à la fin du confinement, sans permettre de rattraper la croissance perdue.
C’est tout de même un coup de semonce : la Guadeloupe n’est pas immunisée contre les effets du ralentissement économique mondial imputable à la crise du coronavirus. Déjà en préambule, on peut dire que l’économie guadeloupéenne affiche les premiers stigmates de la grave crise économique du coronavirus, et que les guadeloupéens ne seront pas épargnés !
L’histoire de l’endettement public démontre qu’à un certain niveau les dettes publiques ne sont plus facteurs de croissance. Car elles provoquent un « effet ricardien »: les guadeloupéens sentent que cela ne va pas durer et augmentent leur épargne en attendant que les impôts leur tombent dessus.
Face à la crise du Covid-19, le gouvernement a ouvert les vannes de l’argent public pour éviter notamment la faillite de nombreuses entreprises. La facture des aides s’élèvera au total d’ici fin 2020 à 490 milliards d’euros, selon les prévisions du gouvernement. Mais néanmoins les entreprises les plus touchées par la crise ne résisteront pas au choc, et cela engendrera des faillites et par voie de conséquence un chômage de masse . Les entreprises perdent maintenant plus d’argent que jamais, à cause des nouvelles mesures de couvre-feu et du reconfinement en France hexagonale , et voient leurs espoirs de profits à la baisse en raison de l’incertitude économique.
En Guadeloupe, le risque d’une «récession à double creux» est devenu prégnant , car la dérive du chômage de masse et de l’endettement public se nourrissent l’une l’autre.
C’est dans ce contexte, qu’il convient de promouvoir en Guadeloupe, la pratique de l’esprit critique, du doute systématique, de la recherche obsessionnelle d’un nouveau modèle économique et social ; et chercher ce qui se cache derrière toute affirmation non étayée. C’est une tâche extrêmement difficile, exigeante, qui force à penser contre soi-même ; et à se demander sans cesse ce que nous réserve l’avenir.
Il est patent de dire actuellement qu’il va falloir travailler plus pour assurer la pérennité et le financement du modèle social actuel. Dans un proche avenir, ce sera un sujet majeur, car il est lié autant à l’économie qu’aux enjeux de société. Nous sommes autant préoccupés par le poids de ce modèle social sur la compétitivité des entreprises au niveau local , que par la nécessaire solidarité entre générations et entre les différents groupes sociaux qui composent le pays.
Enfin, nous sommes convaincus que le nœud du problème réside dans le financement de ce modèle social, conçu avec des hypothèses aujourd’hui obsolètes avec le Covid 19 et la fin de la croissance . Quelles sont les conséquences ? C’est un peu un jeu sans fin ou dont la fin sera une récession assez marquée en Guadeloupe . Le coût en sera exorbitant en termes de croissance donc de destruction d’emplois, donc d’augmentation du chômage, donc d’augmentation de la pauvreté.
Et les inquiétudes quant à une multiplication des faillites des entreprises font craindre le pire. Le plan de relance de 100 milliards d’euros du gouvernement sera-t-il suffisant ?
Pour comprendre ce qui nous arrive et nous attend, des idées du passé comme celui du développement endogène axé prioritairement sur le secteur primaire agricole et le tourisme . Alors, faut-il faire table-rase de ce passé de pays dépendant de l’agriculture et du tourisme ? A priori, Non pour certains et pourquoi pas pour d’autres ? Encore faudrait-il savoir de quelles idées du passé se défaire. Nous en voyons une qui à notre sens constitue la vieille lune véhiculée par certains intellectuels , politiques et syndicalistes à savoir : la chimère de l’auto suffisance alimentaire et le mythe d’une reconquête du marché intérieur et d’une production locale facteur de développement économique et de création de richesse. Cela s’avère-t-il encore possible ? A notre sens, c’est la voie ouverte à la démagogie, car c’est irréaliste dans la mesure où il s’agit bien d’une chimère !
Et à l’attention de nos contradicteurs, nous leur demandons de réfléchir sur le fait que seul un esprit éduqué à la practice économique peut comprendre une pensée différente de la sienne sans avoir à l’ accepter.( Aristote.)
C’est dans ce même ordre d’idée qu’il est intéressant d’analyser comment s’est réalisée à la Guadeloupe et en Martinique, la croissance économique. Au moment de la départementalisation, tous les acteurs économiques et politiques croient que l’injection de l’argent public suffirait pour susciter une demande et une production, puis par effet boule de neige, aboutirait à une croissance auto-entretenue. On est là en présence du schéma type du multiplicateur Keynésien très à la mode dans les années 50-60. Dépenses de fonctionnement, rémunérations des fonctionnaires augmentées de 40% , investissements, prestations et aides sociales, toute la panoplie des transferts publics y passeront. En réalité le mécanisme de croissance alimenté par la demande a très bien fonctionné ( élévation notable du niveau de vie et progrès social incontestable ) ), mais l’appareil productif plombé par l’économie de plantation et de comptoir n’étant pas prêt, le processus cumulatif attendu ne s’est pas opéré. Ce qui constitue le moteur de l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique, c’est l’importance de la consommation finale des ménages. Cette consommation est très supérieure à la production marchande locale, et à noter que cela peut être observé de plus en plus dans une économie moderne dite développée.
Aujourd’hui, la donne a totalement changé et l’activité économique de la Guadeloupe va être réduite entraînant mécaniquement une baisse des revenus des ménages et des entreprises et donc des recettes fiscales, les guadeloupéens vont bientôt devoir mettre la main à la poche sur leur épargne, si la Guadeloupe veut tenir ses engagements de réduction drastique de ses déficits. A la différence de la crise sociale de 2009 qui avait vu la croissance chuter en Guadeloupe de 9,6 %, nous assisterons très bientôt à la conjonction d’une crise bancaire – avec une faiblesse de leurs ratios de solvabilité – et d’une crise des collectivités locales – avec un endettement public massif. C’est une première. Et répétons le, seule une injection massive d’argent public de l’Etat français pourrait encore permettre de sauver les meubles. Mais nonobstant ce seul facteur de l’injection massive d’argent public dans l’économie de la Guadeloupe , nous risquons , en réalité , de bientôt passer » d’une économie du risque à une économie de la peur » comme le disait l’économiste et essayiste Jacques Attali
En fait, pour nous, ce qui se conçoit bien est porteur d’espérance et non de désespoir…. « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise. (Jean Monnet) – là est devrait être notre seul crédo !
Jean-Marie Nol économiste