Première « Déblosaille » poétique à Saint-Esprit

— Par Selim Lander —

En préfiguration du deuxième festival de poésie organisé par l’association Balisaille au mois de mai prochain, une réunion bien sympathique, à laquelle était conviés tous les amateurs de la chose poétique, a eu lieu dimanche 19 mars. Ce fut d’abord l’occasion de rendre hommage à quelques poètes et poétesses locaux souvent injustement oubliés, disparus depuis peu pour la plupart, qui ont chanté la Martinique dans leurs œuvres, ses joies et ses peines. En voici la liste qui, fatalement, ne parlera pas de la même manière à tous nos lecteurs :

Gilbert Gratiant  (1895-1985)
Ina Césaire (1942-)
Georges Devassoigne (1931-2015)
José Le Moigne  (1944-)
Marie-Magdeleine Carbet (1902-1996)
Nelly Martin ( ?-?)
Rose-Eliane Landès (1955-2010)
Guylaine Avenel alias Clo-Dja ( ?-?)

« Heureux ceux qui sont mort pour la terre charnelle », écrivait Péguy dans le poème Ève (1913). Il écrivait aussi « Heureux ceux qui sont morts dans ce couronnement / Et cette obéissance et cette humilité ». Si Péguy parlait des soldats morts pour la patrie, le poète qui glorifie son pays dans ses vers (sans cacher pour autant ses revers) ne mérite-t-il pas lui aussi un tel éloge ? Des extraits des œuvres des poètes retenus, sélectionnés par Nicole Cage, ont été mis en lecture par trois comédiennes accompagnées par un guitariste sous la conduite et avec la participation active d’Hervé Deluge. Des œuvres très variées, au gré de l’inspiration des poètes, où l’humour côtoyait le lyrisme comme le créole côtoyait le français. Les panneaux réalisés par Nadia Burnier présentant un rapide résumé de la biographie de chaque poète, une photo de lui ou d’elle et le bref extrait d’un poème se sont révélés fort utiles pour en apprendre un peu plus sur chacun.

Cette réunion qui s’est tenue dans le cadre du jardin des Gommiers, à Saint-Esprit, et qui fut suivie d’une collation avait également pour but de faire connaître le nom du poète martiniquais qui sera mis en lumière lors du prochain festival, après Widad Amra l’année dernière. Il s’agit du Franciscain Roger Parsemain dont on a pu entendre un texte en prose ainsi que deux poèmes lus par Nicole Cage.

Last but not least Faubert Bolivar a donné lecture du palmarès du premier prix de la traduction en créole. En l’occurrence, il était demandé aux candidats de traduire les premières pages du Cahier d’un retour au pays natal. Quatre lauréats ont été distingués, plus deux mentions (1) et le premier prix est revenu à M. Isambert Duriveau qui a exercé jadis le beau métier d’instituteur tout en s’illustrant comme sculpteur. Il a pu exposer son approche de la traduction avant de nous la lire.

Il est parti, a-t-il expliqué, de trois postulats : 1) Le poète – Césaire en l’occurrence – est ancré dans un lieu. Selon I. Duriveau ce lieu est Basse-Pointe, celui de la petite enfance, ce que la lecture du Cahier ne contredit pas, et Césaire parlerait d’abord à partir de ce lieu. Le vainqueur du concours a donc commencé par se rendre lui-même à Basse-Pointe afin de s’imprégner de son atmosphère, entre océan déchaîné et volcan menaçant, avec ses plantations qui sont autant de réminiscences de l’esclavage. 2) Le poète est un explorateur de l’intime, il descend au plus profond de lui-même, d’où surgira le poème. 3) Un poète comme Césaire est enfin un militant qui se bat pour une juste cause, dans ce cas contre le colonialisme. Partant de ces postulats, le traducteur a entrepris, autant que faire se pouvait, de se mettre dans l’état d’esprit de Césaire rédigeant le Cahier. Et au-delà, l’état d’esprit du peuple tel que présenté par Césaire. C’est pourquoi, a-t-il conclu, il a choisi de traduire le Cahier dans la langue d’un coupeur de cannes. Il faut croire que cette démarche était la bonne puisqu’elle lui vaut la couronne.

(1) Cf. Prix de la traduction en langue.s créole.s (madinin-art.net)