— Par Julie Bessard —
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La semaine de la censure bat son plein sur notre île, entre les suspicions sur le fait que l’exposition “Spiritualité, rituels et imaginaires de la Caraïbe”, présentée au conseil régional, ait été jugée blasphématoire et décrochée avant son terme officiel du 20 novembre(*), et la déformation de l’installation de Philippe Alexandre dans le cadre de l’exposition “Catastrophes ?”, présentée à la bibliothèque Schœlcher jusqu’au 18 novembre. Le milieu artistique reste en émoi en attendant la véritable information sur le pourquoi du qui et du comment de ces faits inquiétants pour la liberté d’expression.
Certainement que de courageux organisateurs, journalistes, commissaires ou artistes, sans crainte de la mise au placard médiatique et financière, parviendront à faire taire les rumeurs et à nous donner une version claire et précise.
A propos de mise au placard, j’aimerais narrer l’expérience inquiétante que j’ai vécue au Marin, lors de mon passage vendredi 25 novembre 2011 au Marché d’art contemporain (MAC) qui fut, à mon encontre, la mise en pratique de ce vent de censure.
Commençons par le pourquoi :
Il y a deux mois, Habdaphai – artiste locomotive du MAC depuis 8 ans – réunissait à l’Atrium des artistes plasticiens et leur faisait part de ses inquiétudes quant à sa participation et à la mise en place de la manifestation en 2011. Il nous relatait, à cette occasion, le désistement de la mairie du Marin en sa défaveur bien qu’il ait déjà rédigé un projet – comme pour les années précédentes – et lancé l’appel à la participation des artistes.
A cette réunion, il avait alors été proposé que les artistes qui voulaient participer au MAC pouvait bien sûr librement le faire mais qu’un geste de solidarité serait parallèlement organisé pour dénoncer l’éviction du plasticien. Personnellement, j’ai décidé de soutenir Habdaphaï pour protester contre la suppression de sa fonction au marché du Marin à cause d’une décision politique qu’il nous avait présentée comme arbitraire et contraire aux intérêts des artistes. J’ai donc préparé un costume pour ma déambulation, tête dans un nuage de lanières agrafées et deux pancartes au cou. Au recto : PoliticART au placard/Viva Habdaphaï et au verso : le marché aux artistes/Viva Habda.
Qu’est-ce qu’un POLITICART ?
La définition de politicard avec un D est péjorative puisqu’elle décrit un homme politique dépourvu d’envergure et de scrupules.
Ma définition du politicarT avec un T est celle d’un homme politique, au pouvoir ou non (l’envergure étant une qualité individuelle), qui se sert de l’art de manière démagogique et abusive en menaçant l’équilibre si fragile entre art et institution, c’est à dire une nécessaire cohabitation constructive qu’il convient de sauvegarder.
Même dans les dictatures laïques ou religieuses, l’art sous toutes ses formes reste le poumon de la population et arrive à survivre. Dans une démocratie, le politique s’assure, à défaut de mettre l’art au centre de son projet, des conditions d’existence de cette création sous toutes ses formes. De son coté, l’artiste a besoin du regard de ses concitoyens et tisse des lien avec les institutions qui peuvent, à l’occasion, lui assurer pitance et pérennité.
Il était une fois le MAC du Marin
Jusqu’à cette année, l’opinion que j’avais du marché du Marin était celle d’un point d’équilibre entre les artistes et une municipalité dynamique, l’une des rares sur l’île qui, grâce à l’action de ses élus, avait réussi à rendre cette création martiniquaise plus vivante, plus visible, et qui réunissait tant d’artistes depuis tant d’années. Bien sûr, il y avait des grincements, des ajustements, des débordements; bien sûr, personne n’était jamais d’accord avec la sélection de l’année… Mais les visiteurs et les artistes répondaient toujours à l’appel; les étudiants de l’Iravm et les autodidactes y montaient leur première exposition; c’était un lieu d’émulation où les artistes ont partagé, sympathisé et créé.
Sous la pluie, le soleil et la musique trop forte, les préjugés se sont atténués et c’était presque le Walt Disney de l’art orchestré par Habdaphaï, artiste charismatique, débonnaire, têtu, sincère, brouillon, naïf, enthousiaste, stratège et généreux. C’était l’intermédiaire en qui j’avais confiance quant à l’organisation, il connaissait les besoins des deux parties et proposait au mieux. C’était la charnière indispensable entre la mairie et les artistes.
les MACoutes attaquent
Donc, le soir du 25 novembre, j’arrive au point de départ de la manifestation de soutien à Habdaphai et je retrouve celui-ci concentré dans sa performance, protestation poétique & immobile à l’entrée du marché. Je commence ma déambulation solidaire et solitaire. Ayant d’un pas tranquille traversé l’allée principale, je marche dans une allée secondaire quand un homme se précipite sur moi en hurlant et entreprend de m’arracher mon nuage en essayant de me frapper au visage. Hasard de la création artistique ou intuition, les lanières agrafées gênent mon agresseur et me font une barrière de protection. « Man ké dékatché’w ! Fous-moi le camp ! Je te retrouverai ! », voilà l’accueillant discours qui est joint aux gestes.
Quelques visiteurs, témoins de cette violence, viennent à mon secours et me protègent d’un deuxième quidam arrivé en renfort. Je finis mon parcours escortée malgré moi par ces deux fâcheux personnages, suivis eux-mêmes par des spectateurs soucieux de ma sécurité. Après renseignement, j’apprends que ces zélés défenseurs de l’art ne sont autres que des employés municipaux travaillant pour la mairie…
“Quand tu veux dire la vérité, assure-toi d’avoir un bon cheval” dit un vieux dicton tzigane…
Vive la démocratie, vive l’art.
Julie Bessard
Artiste
(*) N.D.L.R : La Région dément un décrochage anticipé en se référant à des contrats d’assurances de l’exposition qui n’allaient pas jusqu’au 20/11/2011. Les artistes contactés ne nous ont pas fournis d’éléments étayant la thèse d’une « censure », contrat ou convention, si ce n’est l’affiche de l’exposition qui portait bien la date du 20 novembre 2011 comme date de clôture...