— Par Max Dorléans, GRS —
La lettre d’appel à la discussion que Macron a dû écrire en réponse aux exigences du mouvement des Gilets jaunes n’est rien d’autre que de l’enfumage visant à enliser ce dernier, en cherchant à déplacer le curseur de la lutte sociale vers un terrain plus institutionnel.
Même si nous n’y participerons pas formellement, n’ayant pas attendu Macron pour discuter au quotidien sur notre avenir avec les Martiniquais et les Martiniquaises, nous saluerons les Gilets jaunes, de nous offrir, grâce à leur colère contre Macron, une fenêtre supplémentaire, pour poursuivre, avec peut être, une écoute plus attentive, nos discussions ici même.
Evidemment, nous ne savons aucunement aujourd’hui, ce qui va résulter au profit de la majorité de la population en France, le débat découlant du mouvement initié par les gilets jaunes le 17 novembre 2018. Mais nous ne nous faisons non plus aucune illusion à son sujet au regard de nos propres expériences avec les différents « états généraux » mis en place ici par les Chirac, Sarkozy et Macron lui-même.
Et, nous le savons d’autant moins que l’ensemble des quelques débats intéressants autour notamment des problèmes de justice sociale et justice fiscale, sont cadenassés par des experts et notables rompus aux questions économiques, fiscales, budgétaires, prompts pour condamner uniquement les violences attribuées aux gilets jaunes, et sensibles aux seules solutions respectant le cadre institutionnel existant.
A savoir des solutions obéissant à l’économie française telle qu’elle fonctionne, obéissant aux règles budgétaires orthodoxes qui lui sont liées, ainsi qu’à la fiscalité directe, indirecte et autres taxes existantes. C’est-à-dire des solutions conformes au modèle social et à la logique libérale qui l’accompagne, et qui ne poussent nullement l’outrecuidance (leur moule idéologique dominant se refuse à toute remise en cause) à questionner le cadre général, et la logique concurrentielle et du chacun pour soi, qui le soutend.
Et mieux, même pour les farouches partisans d’une réforme fiscale en profondeur – avec le principe de la contribution individuelle en fonction des capacités de chacun inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen – l’idée d’un impôt vraiment progressif risque d’être insuffisante si l’on se contente de tenir pour incontournable, le fonctionnement actuel du système, avec ses seules prétendues « vérités économiques » (voir la proposition de certains très grands patrons, par crainte d’un développement plus profond du mouvement de colère, de payer davantage d’impôts) ; si l’on se refuse à faire bouger les lignes par l’intégration, par exemple, d’une conception de la solidarité autrement plus hardie que celle d’aujourd’hui, qui n’est que le pâle reflet de la solidarité d’hier laminée par les politiques libérales ; si les fondations sur lesquelles repose le système, ne sont pas examinées, notamment l’origine de la richesse produite et l’injuste répartition actuelle de celle-ci.
C’est-à-dire si on ne débat pas, ici et maintenant, d’une autre répartition de la richesse produite, pour casser celle actuelle entre salaires et profits, où ces derniers ont largement pris le pas sur les premiers ; si on ne débat pas encore non seulement des profits extirpés du travail de l’immense majorité constituée de salarié/es d’abord, et de petits producteurs (artisans, paysans..), petits commerçants et autres travailleurs indépendants ensuite, mais également des salaires et des écarts extrêmes et inadmissibles existants entre eux, sans même parler des dividendes insolents empochés par les Carlos Ghosn et cie .
Autrement dit, toutes ces questions nous intéressent, et nous ferons tout pour leur donner le maximum d’ampleur démocratique, le maximum de profondeur possible, de façon à ce qu’elles soient le plus profitable pour la majorité de la population, en mettant tout sur le tapis, et en ne laissant rien de côté. Une manière d’être en phase avec le fameux RIC (référendum d’initiative citoyenne) qui vise à contester le pouvoir de ceux d’en haut qui, outre la confiscation des richesses, confisquent également la parole politique.
C’est me semble t’il, cette démarche pour une mise à plat d’ensemble qu’il faut réaliser, pour permettre, grâce à la participation de tous et toutes, en toute transparence, à partir d’informations de toutes natures, ce que la société veut. Ce qu’elle entend consacrer, sur la base par exemple, de données sur la richesse globale produite par l’ensemble des citoyens-producteurs, à ceci ou à cela. Sans perdre de vue évidemment que les discussions dans cette optique, ne pourront faire l’économie de débats sur d’autres aspects comme le travail pour tous et toutes, la durée du temps de travail, les conditions de travail, les besoins à satisfaire prioritairement, les productions inutiles et nuisibles, la question climatique, la transition énergétique…
Mais, notre inscription en Martinique dans ce débat, serait inconsistante si nous nous contentions des seules questions sociales, démocratiques et autres – toutes importantes soient elles – à l’ordre du jour en France.
La question de notre situation réelle, de « notre » économie dominée et dépendante, avec des institutions républicaines locales servant la reproduction du système et des intérêts dominants, doit trouver toute sa place, avec nos préoccupations actuelles (chloredécone, sargasse, chômage endémique…) dont font principalement les frais, les plus faibles et les plus démunis.
Ce qui signifie par conséquent que l’ensemble des progressistes radicaux, les démocrates sincères, ne doivent pas rester l’arme aux pieds. La discussion sur les voies et moyens de la société qu’ils veulent construire, le type de modèle social qu’ils entendent voir émerger, avec qui, et au profit de qui prioritairement nous intéressent. Ensuite, le débat sur les conditions dans lesquelles devra accoucher la nouvelle société, le nouveau modèle social, porteur nécessairement de valeurs de solidarité, d’égalité, de démocratie réelle et pas formelle, est plus qu’essentiel.
Et, cerise sur le gâteau en 2019, nous avons un atout majeur. Celui consistant dans notre refus des deux variantes du modèle capitaliste dominant à l’échelle mondiale : d’une part la variante occidentale dominante ; d’autre part la variante « non occidentale » où le capitalisme restauré, est surgi des sociétés bureaucratiques, inégalitaires, faussement dénommées « communistes », nées de la trahison de l’espoir porté au début du siècle passé, avec la première révolution socialiste.
Alors, poursuivons nos rencontres et débats avec la population martiniquaise, afin de continuer à réfléchir à ce projet de société respectueux de l’homme et de l’environnement. Rien n’est plus urgent !
Max Dorléans