Rites funéraires et groupes familiaux d’appartenance
— Par Yves Lamoureux —
La préoccupation quant à la finitude et l’idée même de la mort sont le propre de l’homme. La perception de notre propre mortalité est une des caractéristiques qui nous différencie en tant qu’êtres humains au sein du règne animal.
Ainsi, pouvons-nous vivre comme si la mort n’existait pas ? Est-ce que les familles contemporaines peuvent considérer les rituels funéraires comme étant désormais désuets ? Comment ces rites élaborés à la mémoire de la personne décédée peuvent-ils contribuer au processus d’ajustement de la perte, aussi nommé : travail d’intégration du deuil ? C’est sur ces propos que je vous invite à porter votre attention.
Quand on m’a demandé si je voulais bien écrire un article concernant les rites funéraires et les groupes familiaux d’appartenance, j’ai répondu par l’affirmative, et ce pour deux raisons essentielles. La première repose sur ce désir de dépasser le tabou du non-dit qui existe quant à la mort. La deuxième, c’est de pouvoir apporter ma contribution à la reconnaissance de l’importance des rites funéraires dans la résolution du deuil. Cela dit, une fois la démarche de recherche entreprise, je réalise comme beaucoup d’autres que l’analyse d’un sujet comme celui-là sera forcément limitée, donc incomplète, compte tenu de la diversité des aspects multidimensionnels. Mais si, avec un peu de chance, les lecteurs en retirent des représentations qui les aident à cheminer dans leurs propres réflexions/ vécus face à cette difficile réalité qu’est le décès d’un membre familial, alors le but sera grandement atteint.
Cela dit, nous remarquons que le décès d’un individu au sein d’une famille « traditionnelle » ou « nouvelle » laisse un héritage (sous forme de souvenirs) auprès de chacun des membres composant cette famille. Qu’en feront-ils ?
Portons notre regard sur les rites. Il y a différents rites auxquels le groupe d’appartenance familiale est assujetti. Les rites de maintenance ou d’union (ex : repas, fêtes de Pâques, de Noël, occasions spécifiques) qui favorisent la cohésion tout en permettant l’échange entre les participants. Les rites de passage (ex : baptêmes, anniversaires, mariages, funérailles) sanctionnent quant à eux la transformation du groupe. Les rites funéraires sont donc utiles pour favoriser la transition. Louis-Vincent Thomas, grâce à l’élaboration de son livre Rites de mort pour la paix des vivants, nous permet de repérer leurs fonctions : « Le rite apparaît comme une assurance qu’on s’invente pour maîtriser l’épisodique et l’aléatoire » (L.-V. Thomas, 1985). Teintés de symbolismes qui font appel aux valeurs du groupe, les rites possèdent un pouvoir structurant en posant dans un ordre préétabli des actes à accomplir. Ainsi donc, nous les utilisons dans des occasions de changement où l’inquiétude du devenir du groupe surgit. Régulièrement, ils permettent le passage entre deux étapes de vie.
« On ne connaît aucune société, sauf en période de grand traumatisme (guerre, famine, grande endémie), qui n’entoure pas ses morts d’un cérémonial, si élémentaire soit-il » (L.-V. Thomas, 1985). Il y a des preuves de sépultures depuis l’époque de l’homme de Neandertal (– 100 000 à – 35 000 ans). La double sépulture d’une jeune femme ayant à ses pieds un enfant de six ans datant de près de 100 000 ans, découverte dans la grotte de Qafzeh, en Israël, est la plus ancienne sépulture connue (H. Thomas, 1994). De plus, la représentation de survie dans l’histoire semble fondamentale. Pour la même période historique (mésolithique), des restes de nécropoles contenant du mobilier funéraire confirment l’idée de mort-renaissance, donc de survie. Ainsi, à minima, nous constatons un désir de prendre soin du corps d’un congénère et ce, depuis fort longtemps.
Lorsque survient un décès dans une famille, l’idée de la personne décédée semble nous renvoyer à cette insoutenable impression de l’anéantissement du lien. L’individu quitte définitivement le clan familial, la collectivité : difficile constat, certes, mais les endeuillés se doivent de se « sécuriser » dans leur présent aléatoire.
Force est de constater que l’on est soumis aux lois d’un environnement que l’on ne contrôle ni individuellement ni collectivement. Cet environnement peut interférer dans le parcours de la vie d’un individu sous diverses formes : biologique (maladie), physique (accident), sociale (instabilité politique). De cette vulnérabilité, on est plus ou moins conscient. Sans tomber dans l’anxiété, on peut se souvenir de l’attaque des Twin Towers à New York le 11 septembre 2001 et du sentiment collectif de fragilité qui en a émergé ; plus près de nous, il y a eu quelques jours plus tard l’explosion de l’usine AZF à Toulouse.
La démarche des sociétés, des groupes, des familles et des individus semble similaire. Comment maîtriser ou rétablir l’équilibre suite au changement induit inévitablement par la perte d’un membre « familial » ?…
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