— Par Jean-Marie Nol, économiste —
En Guadeloupe, depuis les années 60/70 les idéologies politiques marxistes qui sous-tendaient la décolonisation et la lutte de libération nationale ont été au cœur des passions politiques et syndicales des décennies d’après départementalisation . Les différents mouvements indépendantistes qui portaient ces revendications ont beaucoup déçu et sont entrées en crise au cours des trois dernières décennies. Le communisme, les espoirs révolutionnaires, le socialisme se présentant comme une alternative au capitalisme, la croyance dans un sens de l’histoire et celle dans la nécessité de ruptures radicales avec la France, porteuses d’un avenir meilleur se sont défaits. Ce délitement a déstabilisé la mouvance nationaliste en Guadeloupe et au contraire renforcé les tenants de l’assimilation. Tout cela a débouché, sur la concomitance de la victoire de la démocratie occidentale et du libéralisme, , et a finalement engendré la revendication d’un conservatisme se méfiant de tout changement radical des institutions .
A mes yeux, le déclin des mouvements indépendantistes en dépit de certains succès relatifs dans le champ syndical, trouve son origine dans trois éléments de notre modernité. D’abord, l’intensification de la globalisation (au plan de l’économie, de l’accumulation du capital aux mains d’une bourgeoisie compradore, de la communication, des transports, des NTIC, etc.) a contribué au déclin d’idéologies très situées, au plan de la doxa marxiste et tiers mondistes . Ensuite, un ordre social post-traditionnel s’est mis en place. La tradition et l’identité qui servaient de ciment à notre société, ont été de plus en plus questionnées par les nationalistes, mais sans succès en l’absence de renouvellement du corpus idéologique . Le nationalisme guadeloupéen n’a pas engagé de construction d’un nouveau corpus, peu aidée également par le manque de personnalités ayant une connaissance des cycles économiques capables de s’atteler à la tâche à ses côtés.
Restée une évocation, un outil de campagne stérile face à une départementalisation en plein doute, la restructuration idéologique n’a pas eu lieu, empêchant la constitution d’une articulation complexe entre bourgeoisie nationale /bourgeoisie compradore, gauche/droite et conservateurs /patriotes . Loin d’être un bienfait, cette situation laissera les électeurs face à une représentation partielle de leurs besoins, alimentant, de fait, l’abstention et la poursuite de la décomposition du mouvement indépendantiste en Guadeloupe .
UN CORPUS IDÉOLOGIQUE QUI PEINE À SE RENOUVELER
Commençons par le fond. L’opposition incarnée par le match capital /travail a-t-il débouché sur la constitution d’un corps de doctrine capable d’installer durablement la dualité bourgeoisie nationale /patriotes ? La réponse est clairement non.
Et d’ailleurs pourquoi non ?…. Tout simplement du fait de l’inexistence d’une bourgeoisie nationale en Guadeloupe. Je voudrais, dans cet article , démontrer ce qu’on a un peu trop tendance à oublier ces temps-ci où l’histoire identitaire et culturelle est reine : que le politique demeure inséparable de l’économique, et que cette symbiose est nécessaire dans l’édification des États nations. C’est pour négliger cette réalité de l’existence d’une bourgeoisie nationale, comme étant un préalable obligatoire à un processus d’indépendance, que nombre de militants nationalistes se condamnent à ne pas comprendre certaines raisons fondamentales des difficultés énormes que rencontrent aujourd’hui beaucoup de pays et mouvements politiques avec la notion même de nation . Je pense à certains pays d’Afrique et surtout à Haïti qui est une nation sans État. Et cela explique pourquoi l’insécurité culturelle des guadeloupéens va augmenter à l’avenir avec la prochaine émergence d’un pouvoir autoritaire en France !
Et pour mieux comprendre la problématique de l’échec des nationalistes Guadeloupéens après 70 ans de luttes pour la libération nationale, il convient de s’interroger sur le sens et les moyens mis en œuvre pour accéder à l’émancipation.
L’objectif des partis nationalistes à partir d’une certaine vision idéologique tiers-mondiste est, nous l’avons vu, strictement national. Ils mobilisent le peuple sur le mot d’ordre d’indépendance et pour le reste s’en remettent à l’avenir.
Quand on interroge ces partis sur le programme économique de l’État guadeloupéen qu’ils revendiquent, sur le régime qu’ils se proposent d’instaurer, ils se montrent incapables de répondre parce que précisément ils sont totalement ignorants à l’égard de l’économie de leur propre pays hormis à part le fait syndical .
Cette économie s’est toujours développée en dehors d’eux et avec une méconnaissance coupable des théories économiques . Des ressources actuelles et potentielles du sol et du sous-sol (géothermie, nodules polymétallique) de leur pays, ils n’ont qu’une connaissance livresque, approximative. Ils ne peuvent donc en parler que sur un plan abstrait, général.
Un exemple d’impuissance de l’action particulièrement édifiant nous est fourni par cette retranscription d’un post Facebook écrit par un homme supposé patriote guadeloupéen, et je cite : » Moi, j’ai toujours pensé que les Guadeloupéens qui se bornent à clamer “indépendance, indépendance” n’auront aucune chance d’obtenir l’adhésion de la population tant qu’ils n’auront pas encore apporté à celle-ci des réponses concrètes à ses interrogations.
Sans être exhaustif, en voilà quelques unes:
Il faudra expliquer à la population, sauf à y renoncer, et cela il faudra qu’elle l’accepte:
1) Comment seront financés
*le RSA
*les 40% de vie chère
*les avantages liés au statut de fonctionnaire des collectivités locales pour lesquels de grandes grèves ont été menées et le sont encore, ou alors, faudra t-il les abandonner. (Pour autre chose?)
*Les prestations relatives à la protection sociales. (Les cotisations encaissées sur place ne permettant de financer que 6 mois de prestations sociales, la différence provenant des transferts sociaux)
2) Qu’en sera t-il des abattements fiscaux spécifiques aux DOM ?
3) Qui paiera les nombreux fonctionnaires français qui sont présents dans les administrations ( éducation, justice police, douanes, hôpitaux) s’ils demeurent affectés en Guadeloupe. Et à quel tarif ?
4) Quel droit du travail sera appliqué en Guadeloupe. Nous avons des syndicats très actifs, qui se mobilisent facilement. Quel smic?
5) Les Guadeloupéens qui vivent et travaillent en France. Faudra t-il régler leur situation?
Etc…
Le peuple Guadeloupéen, est très lucide quoi que certains pensent et aura besoin de réponses claires. «
Les interrogations de ce guadeloupéen patriote lucide devraient longtemps demeurer sans réponse, et ce tant que l’on ne comprendra pas le rôle primordial de la bourgeoisie nationale dans l’édification de la conscience nationale et dont la mission historique est de servir de bâtisseurs d’une économie de production à même d’instaurer la richesse préambule à toute redistribution sociale.
Comme on le voit, il s’agit d’une vocation à aider à la création de la nation, et non prosaïquement à servir de courroie de transmission à un capitalisme acculé au camouflage comme c’est le cas en Martinique et qui se parera demain du masque néocolonialiste.
Sans prise de conscience de l’importance de l’économie et de l’émergence d’une bourgeoisie nationale, le mouvement indépendantiste va se complaire, sans complexes et en toute dignité, dans le rôle d’agent de la bourgeoisie compradore occidentale. (La bourgeoisie compradore désigne la classe bourgeoise qui, dans les pays dominés, tire sa richesse de sa position d’intermédiaire dans le commerce avec les impérialismes étrangers, par opposition aux bourgeois ayants des intérêts dans le développement de l’économie nationale.)
Et pour conclure, s’agissant des prochaines élections régionales : » Ayons toujours en mémoire cette pensée de Confucius : celui dont la pensée ne va pas loin verra ses ennuis de près. «
Jean marie Nol économiste