Par Liêm Hoang Ngoc, économiste, député européen (PSE)
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La perte de compétitivité de l’économie française est souvent présentée comme la conséquence de la dégradation du taux de marge des entreprises. Lestées par un coût du travail trop élevé, celles-ci ne dégageraient pas suffisamment de marges d’autofinancement pour engager les investissements nécessaires afin de réorienter l’offre sur une trajectoire hors coût, à l’allemande.
La restauration des marges d’aujourd’hui serait donc les investissements de demain et la compétitivité hors coût d’après-demain. Tel est, en somme, l’énoncé du « théorème Gallois », avatar du « théorème Schmidt » de 1974, lorsque le chancelier allemand avait popularisé l’adage selon lequel « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ».
Or, que nous enseigne l’analyse de l’évolution récente du taux de marge en France ? Une hausse tendancielle du taux de marge a jalonné ces trente dernières années, accompagnant la montée du capitalisme néolibéral.
Cette hausse tendancielle du taux de marge ne s’est pas accompagnée d’une hausse, mais d’une baisse tendancielle des taux d’investissement, contredisant intuitions et prédictions courantes. Au cours de cette phase, une part croissante des bénéfices a été redistribuée au détriment de l’investissement, sous forme de dividendes. Les profits d’hier n’ont pas été les investissements d’aujourd’hui.
S’agissant de la période la plus récente, on observe plus précisément que le taux de marge a enregistré une forte hausse de 1996 à 1998. Il s’est ensuite stabilisé à un niveau élevé, au-dessus de 30 % (par comparaison, le taux de marge moyen des « trente glorieuses » était de 28 %). Il augmente fortement entre 2005 et 2008 pour atteindre un pic à 32 %. C’est à partir de cette année, marquée par la récession consécutive à la crise des subprimes, que le taux de marge se dégrade effectivement, sans toutefois que la part des dividendes dans les bénéfices ne cesse de croître.
Il existe deux interprétations de cette baisse du taux de marge.
Selon l’interprétation la plus courante, le taux de marge aurait baissé à cause de l’augmentation du coût unitaire du travail (calculé en tenant compte de la productivité). Cela plomberait donc l’incitation à investir et, par voie de conséquence, la compétitivité, et serait la cause de la dégradation du solde extérieur, en dehors de l’impact exercé par la hausse du prix des importations de matières premières.
Pour restaurer la compétitivité, il suffirait donc de réduire le coût du travail afin de restaurer le taux de marge et rendre l’investissement rentable. Plus le choc est important (20 milliards d’euros, selon le rapport Gallois), plus l’effet serait spectaculaire.
La réalité empirique contredit cette opinion dominante. La dégradation du taux de marge et du potentiel de croissance de l’économie n’est pas due à des salaires directs ou indirects excessifs, leur progression ayant été contenue par la « pression exercée par le chômage » dans les négociations sociales. Elle a été avant tout liée à une dégradation de la demande.
LE MONDE ECONOMIE | 07.01.2013 à 12h21 • Mis à jour le 07.01.2013 à 17h40