— Par Pierre Farge —
Offrir l’asile à Edward Snowden ? Le président de la République est sans doute trop inquiet de ses relations avec les États-Unis pour avancer dans ce sens. Pourtant, la France aurait grand intérêt à protéger ce lanceur d’alerte. Par Pierre Farge, avocat au barreau de Paris (*).
L’américain Edward Snowden est à l’origine de la plus grosse fuite de documents confidentiels soustraits à un État. Révélant les pratiques de la CIA et de la NSA, il a témoigné des méthodes d’espionnage inédites en termes de collecte continue de nos informations en ligne, et de la violation de notre vie privée. Son alerte a permis une prise de conscience mondiale. Œuvrant pour la démocratie, il a permis de redéfinir la souveraineté nationale en matière de sécurité, et renforcé l’encadrement des dispositifs de surveillance de masse. Véritable pivot dans l’histoire de l’informatique, cette alerte est notamment à l’origine en Europe de grandes avancées comme le RGPD.
« On ne peut pas accepter que la loi soit utilisée à des fins politiques contre un individu ou pour l’empêcher de faire valoir ses droits » Edward Snowden
Depuis six ans, Edward Snowden est l’homme le plus recherché de la planète. Depuis six ans, suite à l’annulation de son passeport, il est en escale provisoirement durable en Russie, son permis de séjour se termine en 2020. Depuis six ans, il attend que la France se prononce sur une demande d’asile qu’il s’apprête de nouveau à soumettre. Depuis six ans, la France, pays des Lumières, laisse à la Russie le privilège de la liberté d’expression.
Trois raisons pour l’accueillir
Le temps aidant, du ministre de la Justice, aux parlementaires, toutes tendances politiques confondues, la France est, aujourd’hui, prête à accueillir Snowden. Ce pour trois raisons qui peuvent se résumer ainsi : juridique, apolitique, et de bon sens.
1. Juridiquement, la France, pays des droits de l’homme, doit appliquer la protection internationale du statut de réfugié́ prévu par la Convention de Genève de 1951.
Les lanceurs d’alerte ne sont malheureusement pas protégés par le droit d’asile. Être un lanceur d’alerte ne fait pas partie des critères pour accéder au statut de réfugiés. Toutefois, Snowden peut demander le droit d’asile en tant que victime potentielle de persécutions et il devra décrire les risques auxquels il sera confronté aux États-Unis.
Les États-Unis ont promis publiquement sa tête. Edward Snowden encourt, à l’issue de son procès à huis clos, défense nationale oblige, relativisant, ainsi, le droit à un procès équitable et indépendant, trente ans de prison, ou son « exécution », selon les mots mêmes de Donald Trump en 2014. En raison de ses opinions politiques, la persécution et les menaces pesant sur Edward Snowden ne font donc aucun doute.
Edward Snowden pourrait aussi bénéficier de ce que l’on appelle l’asile territorial, selon une procédure moins formelle et plus adaptée à son cas. Cette procédure permet à l’État français, à titre régalien, d’admettre quelqu’un sur son territoire en le faisant bénéficier de ce statut. Cette procédure, surtout, ne dépend pas de l’OFPRA. Les voies et moyens pour accueillir Edward Snowden sur notre sol français existent donc incontestablement.
2. En accueillant Snowden en France, l’État participe à la protection des lanceurs d’alerte. Cela fait plus de dix ans que la communauté internationale s’est attaquée à la question, promettant des changements radicaux, mais sans qu’un début de résultat concret ne soit au rendez-vous.
En matière fiscale, par exemple, en attendant une vaste réforme, il n’est pas insolent de chercher des réponses ailleurs, et notamment dans une protection efficace des lanceurs d’alerte qui peuvent permettre de recouvrer un manque à gagner qui échappe à l’Etat. L’évasion fiscale continue de coûter 80 milliards d’euros, soit 10 milliards de plus de ce que rapporte l’impôt sur le revenu par an. Cette protection des lanceurs d’alerte va donc objectivement dans l’intérêt du plus grand nombre.
Pour appuyer cette politique, il reste à répondre à l’argument peut-être le plus avancé pour s’opposer à la protection des lanceurs d’alerte, à savoir celui de délateur, renvoyant à la plus sombre histoire de la France. Cet argument est faux et malhonnête. Le lanceur d’alerte, fait un signalement dans l’intérêt général, permettant la prévention ou la révélation des failles et dysfonctionnements de nos Etats, nos économies, nos systèmes politiques et financiers. Loin de la dénonciation anonyme, le lancement d’alerte contribue à l’intérêt général, à renforcer l’égalité et à encourager la conscience démocratique.
3. Le Président de la République ne doit pas avoir peur de se fâcher avec les États-Unis. Les tensions entre M Macron et M Trump ne doivent pas être un motif sous-jacent pour balayer la demande d’asile de M. Snowden. Le Président de la République ne peut pas considérer Edward Snowden comme un encombrant en France, mais doit plutôt rappeler la souveraineté de la France dans le monde et placer ses décisions dans la fidélité aux principes de notre pays.
M. Macron doit faire mentir ces nombreuses années d’atlantisme et se rappeler le mot de Roosevelt « In peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité n’est digne ni de l’un ni de l’autre, et finit par perdre les deux ».
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L’AUTEUR
Pierre Farge est avocat au barreau de Paris. Il défend notamment la cause des lanceurs d’alerte. Voir aussi www.pierrefarge.com.
Source : Latribune.fr