Deux historiens confrontent leurs interprétations
Conférence-débat à la Mairie du 5e, 21 place du Panthéon mardi 16 juillet 2019
Accueil à partir de 19h30 début 20h précises, Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles
Frédéric Régent :
« Le 16 juillet 1802, par un arrêté consulaire, non publié au bulletin des lois, Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage en Guadeloupe. Huit ans après l’abolition de l’esclavage votée par la Convention nationale, le 4 février 1794, celui qui dirige de manière autoritaire la France a mis fin à l’un des héritages de la Révolution française et de la Première République. Le 20 mai 1802, Napoléon Bonaparte avait déjà décidé de maintenir l’esclavage dans les colonies, où celui-ci n’avait pas été aboli (en Martinique en raison de l’occupation britannique, à la Réunion et à l’Île de France [actuelle Île Maurice] où les maîtres avaient renvoyé les agents de la République chargés de la mise en application de l’abolition). Par sa décision du 16 juillet 1802 de rétablir l’esclavage, Bonaparte veut punir la population de la Guadeloupe de s’être rebellée en mai 1802, contre l’expédition qu’il a envoyé dans l’île sous le commandement du général Richepance. Par cette mesure, celui qui est devenu l’homme le plus puissant de France et d’Europe, s’affirme aussi comme le véritable maître de la Guadeloupe. »
Pierre Branda :
« Oui, Napoléon Bonaparte a rétabli l’esclavage, après de longues hésitations. Oui, les généraux envoyés par lui aux Antilles ont férocement réprimé les révoltes des Noirs et des mulâtres. Mais c’est à ne pas replacer ces faits dans leur contexte que l’on perd le fil de l’histoire. C’est en oublier que le projet de Napoléon était d’abord géopolitique, que son ambition était » mondiale « . C’est ignorer que le rétablissement de l’esclavage intervient dans un monde où l’abolitionnisme balbutiait, son coût économique étant jugé insupportable
par un secteur qui employait alors un Français sur dix. Privilégier l’hypothèse » raciste « , lire l’histoire à l’envers, d’aujourd’hui à hier et – pourquoi pas ? – à avant-hier, ne peut que contribuer à une utilisation déréglée d’une mémoire pourtant si utile lorsqu’elle ne se confond pas avec le militantisme partial. Pour tirer un bilan honnête, un historien doit mettre de côté ses bons sentiments, et reprendre le dossier de l’esclavage et des colonies pièce à pièce, en s’évertuant de rassembler la documentation la plus complète et de débusquer un élément inédit »
Deux historiens :
Pierre Branda
Chef du service Patrimoine
Fondation Napoléon
et
Frédéric Régent
Maître de conférences en Histoire à Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Institut d’Histoire de la Révolution française (IHRF-IHMC)
Président du Comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage
Collectif pour ne
ni nier ni
cacher’Histoire
La conférence-débat sera suivie d’une vente avec dédicaces
«
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Napoléon: sublime ou détestable?
L’année du bicentenaire de la mort de Napoléon, le 5 mai 1821 sur l’île Sainte-Hélène, «l’empereur des Français» continue d’alimenter les passions.
Deux siècles après sa mort, Napoléon continue d’alimenter les passions: «l’empereur des Français», mort déchu et en exil à 51 ans après avoir dominé l’Europe, voit encore aujourd’hui s’affronter partisans et adversaires. Principaux arguments sur le champ de bataille mémoriel de ce bicentenaire:
Bâtisseur de l’Etat moderne
Le principal «legs» de Napoléon est «la création et le développement d’un Etat moderne, puissant, centralisé, capable de générer un ensemble de règles et de les appliquer efficacement de manière uniforme sur tout le territoire national», estime le politologue Gérard Grunberg, auteur du livre «Napoléon Bonaparte Le noir génie». Bonaparte n’est pas l’inventeur des départements, instaurés sous la Révolution, mais des préfets créés en 1800. A son apogée en 1811, l’empire compte 130 départements après annexions de territoires voisins.
Père du code civil
Autre héritage incontournable de Napoléon Bonaparte, le code civil, promulgué en 1804, met en oeuvre l’égalité de tous devant la loi et s’appuie sur deux piliers: la propriété et la famille. Le code civil a permis de «consacrer les conquêtes de la Révolution: l’égalité, la fin des droits féodaux», souligne l’historien Jean Tulard dans son «Dictionnaire amoureux de Napoléon».
«Misogyne»
Critique récurrente, Napoléon est «l’un des plus grands misogynes», selon la ministre chargée de l’Egalité femmes-hommes, Elisabeth Moreno. Il est vrai, le code civil consacre «la puissance du père de famille sur la femme et les enfants», selon les historiens Jean-Luc Chappey et Bernard Gainot. En 1804, l’article 213 du code civil dispose: «Le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari». L’article 324 du code pénal de 1810 «excuse» le meurtre par le mari d’une femme adultère en cas de «flagrant délit dans la maison conjugale». Napoléon «a fait une place aux femmes qui n’est pas formidable», reconnaît l’historien Patrice Gueniffey. Mais c’est aussi le reflet de «la société paysanne et patriarcale» de l’époque.
«Fossoyeur» de la République
«La République ne peut pas rendre un hommage officiel à celui qui en a été le fossoyeur en mettant fin à la première expérience républicaine de notre histoire pour créer un régime autoritaire», s’indigne le député de La France Insoumise Alexis Corbière dans une tribune dans Le Figaro. En novembre 1799, le général Bonaparte accède au pouvoir par un coup d’Etat militaire, le «18 Brumaire», qui met fin au Directoire mais pas à la première République – elle finira en 1804 avec la proclamation de l’Empire.
«A vrai dire, le coup d’Etat sauvait les conquêtes de la Révolution: l’égalité, l’abolition des droits féodaux, la vente des biens nationaux», défend Jean Tulard. L’empereur gouverne de manière autoritaire mais en utilisant le plébiscite. L’historien Thierry Lentz rappelle malicieusement: «Lorsque Napoléon est devenu empereur, avec un plébiscite populaire, il était dit «empereur de la République».»
«Ancêtre des dictateurs?»
«Napoléon est-il l’ancêtre des dictateurs du XXe siècle?», s’interroge Jean Tulard. «Son autoritarisme, son sens d’un Etat fort, son mépris du régime parlementaire, son impérialisme et surtout son génie de la propagande; tout peut y faire penser». Mais «il n’y a chez Napoléon ni l’idéologie meurtrière, ni le délire raciste de ceux que l’on présente comme ses successeurs», ajoute l’historien.
Celui qui a rétabli l’esclavage
L’esclavage a été aboli dans les colonies françaises en 1794 par la Convention. Mais sous le Consulat, la loi du 20 mai 1802 le rétablit à l’occasion de la restitution par l’Angleterre de la Martinique où l’esclavage n’avait jamais été aboli. «C’est le document le plus à charge contre la mémoire de Napoléon», reconnaît Jean Tulard. Toutefois, pour l’historien, Napoléon a surtout agi par calcul économique à une époque où l’esclavage sévissait partout et «ne choquait qu’une poignée de défenseurs des droits de l’homme en avance sur leur époque».
Source : AFP / LeMatin.ch