— Par Jean-Marie Nol —
Nul citoyen des territoires d’outre-mer n’est aujourd’hui censé ignorer que la France vit non seulement une période de profonde instabilité politique, mais au surcroît se retrouve au bord du gouffre financier . Actuellement , il faut savoir que l’État supporte un fardeau de dette de l’ordre de 3300 milliards d’euros. Son coût augmente sans cesse, au rythme des déficits et de la progression des taux d’intérêt, jusqu’à asphyxier l’action publique. Alors point besoin de feindre la surprise ou l’ignorance quand les agences de notations ont récemment dégradé la note de la France et de dix grandes banques françaises .
Nul doute qu’il advient simplement ce que certains économistes et la Cour des comptes répètent dans le vide depuis des années : la France vit à crédit sans en avoir les moyens.
En 2025, alors que la France fait face à une situation budgétaire tendue, les Martiniquais et les Guadeloupéens semblent malheureusement parfois déconnectés des débats économiques et financiers sur la dette et les déficits publics. Pourtant, les conséquences de cette crise touchent directement ces territoires ultramarins, qui dépendent largement du modèle social français et des transferts financiers de l’État pour leur fonctionnement économique et social. Ce modèle social français, aujourd’hui menacé de désintégration , avec ses transferts sociaux, subventions et services publics, constitue pourtant un pilier essentiel pour lutter contre la pauvreté et garantir une stabilité minimale aux populations vulnérables. Cependant, ce système, en assurant un niveau de vie acceptable même en période de crise, peut avoir un effet paralysant. En Martinique et en Guadeloupe, où près d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté, ce filet de sécurité contribue paradoxalement à maintenir un statu quo économique. Les syndicats, par ailleurs fortement attachés à la défense des acquis sociaux, concentrent leurs efforts sur la préservation de ce modèle, au détriment d’une réflexion sur des solutions économiques innovantes et adaptées aux réalités locales. Ce choix stratégique limite l’urgence ressentie pour engager des réformes profondes du modèle économique et réduit la mobilisation en faveur d’un renouveau du système social et surtout sociétal .
La situation exige une prise de conscience collective des élus et citoyens dans ces îles, qui, bien que souvent perçues comme protégées par l’importance des transferts publics et surtout sociaux , ne sont pas à l’abri des répercussions d’une éventuelle contraction des dépenses publiques nationales.
L’État français, confronté à l’urgence de stopper l’hémorragie de ses finances publiques, risque encore plus de voir les marchés financiers et les agences de notation lui imposer des sanctions économiques si des réformes structurelles ne sont pas mises en œuvre pour réduire les déficits .La conséquence directe et immédiate réside dans une augmentation sensible de la charge de la dette ( intérêts). L’augmentation de la charge de la dette publique en France constitue un enjeu majeur, aux implications économiques et financières profondes. Alors que le poids de la dette va dépasser en 2025 , les 120 % du produit intérieur brut (PIB), selon les dernières estimations, l’accroissement des taux d’intérêt sur les marchés financiers alourdit significativement le coût de cette dette. Cette dynamique, si elle perdure, risque d’avoir des répercussions en cascade sur les politiques publiques, la croissance économique et la cohésion sociale des territoires de Martinique et Guadeloupe.
La charge de la dette, qui correspond aux intérêts versés par l’État pour financer ses emprunts, représente une part croissante des dépenses publiques. Cette hausse survient dans un contexte marqué par un resserrement monétaire de la Banque centrale européenne (BCE), destiné à juguler l’inflation. Les taux d’intérêt, longtemps historiquement bas, ont connus une remontée rapide, augmentant mécaniquement le coût des nouveaux emprunts contractés par l’État pour refinancer sa dette ou couvrir ses déficits. Et force est de constater que la France emprunte aujourd’hui au même taux que la Grèce. Or, avec une dette publique dépassant 3 300 milliards d’euros, même une hausse plus modérée des taux d’intérêt avec la récente diminution du taux directeur de 0,25 de la BCE se traduit mécaniquement par des milliards d’euros supplémentaires à verser chaque année aux marchés financiers et divers autres investisseurs créanciers de la France .
L’impact sur les finances publiques est direct et préoccupant. La hausse de la charge de la dette réduit les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement. Chaque euro consacré au service de la dette est un euro de moins pour financer des politiques publiques essentielles telles que la santé, l’éducation, la sécurité ou les infrastructures. Cette contrainte budgétaire risque de renforcer les tensions dans un contexte où les besoins sociaux et économiques de la Martinique et de la Guadeloupe restent élevés, notamment après la pandémie de Covid-19 et la spirale inflationniste, le tout dans un environnement géopolitique mondial marqué par des très fortes incertitudes.
Par ailleurs, le financement des transitions écologique et numérique, indispensables pour préparer l’avenir, pourrait être compromis par cette pression accrue sur les finances publiques. Dans un tel contexte, les territoires d’outre-mer, comme la Martinique et la Guadeloupe, figurent parmi les premières zones à subir les effets d’une réduction des transferts financiers. Ces îles, fragiles économiquement, reposent en grande partie sur des dotations publiques pour financer leurs infrastructures, leurs services de santé et d’éducation, ainsi que les nombreux avantages sociaux dont bénéficient leurs populations. Toute diminution de ces transferts entraînerait une baisse immédiate du niveau de vie, mais également de la qualité de vie et des services essentiels dans ces territoires, accentuant les inégalités et exposant les plus vulnérables à une précarité accrue.
Un autre aspect crucial de cette problématique réside dans la forte dépendance des Antilles françaises à l’assistanat social. Si les aides sociales, les primes et les dispositifs de défiscalisation ont permis de maintenir un certain niveau de vie pour la classe moyenne , cette dépendance chronique freine le développement d’une économie locale capable de générer des revenus propres. En cas de réduction des aides publiques, cette vulnérabilité serait mise en lumière, avec des conséquences potentiellement dramatiques pour les populations locales. Une telle situation soulignerait l’urgence de la refonte du modèle économique pour diversifier l’économie antillaise et réduire sa dépendance financière à l’État français. Mais un obstacle de taille empêche la prise de conscience, c’est celui de l’attitude des organisations syndicales. La tradition syndicaliste aux Antilles est profondément ancrée dans une culture de revendication sociale, héritée des luttes historiques contre les abus et les inégalités. Si cette culture a permis des avancées significatives dans la défense des droits des travailleurs, elle s’est également cristallisée autour d’un discours contestataire, davantage focalisé sur les responsabilités externes que sur les solutions internes. Ainsi, face à des défis économiques pressants tels que le chômage des jeunes, le sous-emploi , le mal développement économique, ou le coût de la vie, les syndicats semblent souvent ignorer l’urgence d’une refonte structurelle. De même , la propension des élus locaux à privilégier le débat institutionnel , en dépit du raisonnable, brouille notre vision de l’avenir. Cette attitude contribue à perpétuer un cercle vicieux d’attentisme et d’inaction, où les solutions sont pour autant attendues exclusivement de l’État central. En fait, ce qu’il faut bien comprendre c’est que au-delà des arbitrages budgétaires, l’augmentation de la charge de la dette menace également la stabilité économique à moyen terme des régions d’outre-mer . Lorsque l’État consacre une part croissante de ses ressources au remboursement des intérêts, il réduit sa capacité à investir dans des projets porteurs de croissance. Or, l’investissement public joue un rôle crucial dans le soutien à l’innovation, à la productivité et à l’emploi aux Antilles .
Une réduction de ces dépenses d’investissement pourrait aggraver les faiblesses structurelles de l’économie Antillaise, telles qu’un faible dynamisme de la croissance et une compétitivité très insuffisante, ainsi qu’une mauvaise productivité du travail .
Cette situation aura également des implications importantes pour les contribuables des Antilles. Face à une charge de la dette en hausse, le gouvernement pourrait être tenté d’augmenter les impôts ou de réduire les dépenses sociales pour équilibrer son budget. De telles mesures risquent d’alourdir le fardeau fiscal pesant sur les ménages et les entreprises, tout en accentuant les inégalités sociales et territoriales. Par ailleurs, un effort d’austérité budgétaire trop marqué pourrait freiner la demande intérieure et aggraver le ralentissement économique, créant ainsi un cercle vicieux entre croissance faible et dettes élevées.
Ce déni de réalité d’une situation très compliquée en France hexagonale à l’origine d’une fragilité intrinsèque de l’économie est accentuée par un déséquilibre structurel du commerce extérieur. La France perd de plus en plus des parts de marché dans le commerce mondial. Le solde commercial s’établit à – 81,4 milliards d’euros en octobre 2024. Cette problématique de la dégradation du déficit du commerce extérieur est identique aux Antilles qui importent la grande majorité des biens qu’elles consomment – alimentation, carburants, produits manufacturés – tout en ayant un secteur exportateur très limité, principalement centré sur des productions agricoles comme le sucre, la banane et le rhum. Ce déficit commercial chronique alourdit encore les besoins en financement extérieur et expose davantage ces territoires à des chocs exogènes, qu’ils soient économiques, climatiques ou sociaux. Une contraction des transferts publics réduirait leur capacité à faire face à ces défis, aggravant les déséquilibres déjà existants.
Dans ce contexte, une hausse des impôts ou une réduction des dépenses publiques pour combler le déficit national français impacterait quoiqu’on en dise également les Antilles. Les entreprises locales, déjà fragilisées par des coûts de production élevés et une faible compétitivité, seraient confrontées à des charges supplémentaires. Quant aux ménages, qui disposent souvent d’un pouvoir d’achat inférieur à celui des foyers métropolitains ,hormis le cas échéant des fonctionnaires et assimilés, ils subiraient de plein fouet une diminution des prestations sociales ou une augmentation des taxes. Ces répercussions économiques et sociales pourraient amplifier les tensions sociales dans ces territoires déjà marqués par la vie chère et des inégalités structurelles.
Il devient alors crucial pour les Martiniquais et les Guadeloupéens de prendre conscience de ces enjeux. L’idée que le modèle social français offre une protection absolue est illusoire, car ce modèle repose sur une économie nationale dont les fragilités sont de plus en plus visibles. L’avenir des Antilles passe par une réflexion collective et des actions concrètes pour anticiper les défis à venir. Parmi les pistes envisageables, la diversification économique occupe une place centrale. Le développement de secteurs comme le tourisme durable, les énergies renouvelables ou l’agriculture locale à partir du secteur agroalimentaire pourrait permettre de réduire la dépendance aux importations et de créer des emplois durables.
Un autre axe de réflexion concerne le renforcement de l’autonomie budgétaire. Les collectivités locales gagneraient à mieux gérer leurs finances et à explorer des solutions propres à l’instar de la zone franche globale pour réduire les déficits. Enfin, l’éducation et la sensibilisation aux enjeux macroéconomiques sont essentielles pour mobiliser la population et encourager une transition vers un modèle économique plus résilient et plus équitable.Si cette situation appelle à une gestion rigoureuse des budgets, elle nécessite également une réflexion approfondie sur les priorités stratégiques de l’État et une mobilisation collective pour relever les défis économiques de demain. Seule une approche équilibrée, alliant maîtrise des dépenses, soutien à la croissance et politique économique de l’offre , permettra de garantir la soutenabilité de la dette tout en préservant la cohésion sociale et les perspectives de développement durable des territoires .
En somme, la crise de la dette et des déficits publics, bien que perçue comme une problématique hexagonale, concerne directement les Martiniquais et les Guadeloupéens. Ces territoires, bien que protégés en apparence, sont particulièrement vulnérables à une contraction des finances publiques. Il est donc impératif de sortir du déni collectif des élus et d’envisager dès maintenant des solutions pour construire une économie locale plus autonome, résiliente et durable pour faire face aux difficultés à venir…
« Tout chaplé ni kwa-yo » .
Traduction littérale :Tout chapelet a sa croix.
Moralité :Toute médaille a son revers.
Jean-Marie Nol économiste