— Par Max Dorléans (GRS) —
À entendre ces temps derniers, tous ceux et toutes celles, professionnels ou pas, qui se sont intéressés à diverses occasions (colloque, conférence scientifique, plan préfectoral 4…) à la question de la chlordécone, on note que pour l’essentiel, seule la préoccupation qualitative d’ordre sanitaire (avec ses effets d’ordre pécuniaire) a été au cœur des travaux et discours. Soit. Et, s’il n’est pas question de discuter cette approche au demeurant fort nécessaire, concernant la satisfaction générale des besoins alimentaires de la population avec des produits locaux, peu ou pas se sont penchés sur cette question pourtant fondamentale, aux conséquences majeures.
En effet, s’il est indéniable que la qualité de ce qui est produit sur place doit tenir une place centrale, celle concernant l’importation (avec des contrôles significatifs) doit l’être tout autant, puisqu’il y va ici aussi de notre santé à toutes et tous. Une dimension que tous et toutes admettent et revendiquent, qui mobilise des ressources humaines variées (insuffisantes), pour non seulement aider à produire et produire sans chlordécone, mais également pour décontaminer les individus et l’environnement (sol, mer, rivières…). Une dimension qui se veut de nos jours préventive, et qui a conduit à la possibilité pour tous et toutes de se faire dépister gratuitement en labos de ville, et depuis peu, sur leurs lieux de travail, pour les ouvriers agricoles et autres exploitants.
Dès lors, si on peut aisément comprendre que de ne plus absorber quotidiennement d’aliments sans chlordécone, conduit à terme à la disparition de celle-là dans l’organisme, reste que la production pouvant satisfaire les besoins alimentaires en produits sains de chez nous, pour toute la population, est largement insuffisante. Car, non seulement la décontamination de l’ensemble des parcelles produisant aujourd’hui pour l’alimentation (en faible quantité) n’est pas pour demain, mais aussi, les terres non polluées (celles hors sol y compris) destinées à l’alimentation sont dérisoirement modiques.
Ce qui signifie que la question de l’augmentation des terres de qualité à vocation agricole, pour aller vers une souveraineté alimentaire totale, est directement posée. Ce que n’entendent nullement jusqu’ici l’Etat et les maitres de l’export de la banane et de l’import business (souvent les mêmes), en dépit entre autres, de leur commerce à forte empreinte carbone.
Pourtant, ce ne sont pas les terres, en friche notamment, qui manquent ! D’où l’idée de la mise à disposition de ces terres existantes à ceux et celles qui en font la demande, (nouveaux agriculteurs et d’autres déjà installés) avec une solution passant par des premiers accords avec les divers possédants de ces terres. D’une part celles en friche appartenant à la CTM (voir sa banque de terres), et d’autre part celles, également en friche, appartenant à des propriétaires privés. Une orientation – mais pas l’unique – qui à la fois permettrait une augmentation de la production vivrière de qualité, mais également fournirait du travail à des quantités de travailleurs de l’agriculture. Une orientation qui également, avec par exemple le développement de coopératives agricoles, pourrait permettre la baisse des coûts de production, et donc la consommation de produits made in Martinique, grâce à des prix moindres, par un plus grand nombre.
Cette piste, disons-le, n’est qu’une première solution. D’autres comme le déclassement ou la réaffectation de certaines terres, peuvent également être envisagées. Sans même parler de l’absurdité liée à l’affectation de l’essentiel des terres agricoles à la production à la fois de bananes pour l’exportation et de canne (jamais mises en jachère), source de profits colossaux pour quelques-uns, et qui interdit toute souveraineté alimentaire majeure, sinon totale, comprise comme à la fois quantitative et qualitative.
Aujourd’hui, l’actualité de la chlordécone nous permet de poser à une échelle de masse, comme à aucun autre moment, la question de notre modèle agricole, et celle de notre alimentation en quantité et en qualité. Ne nous dérobons pas, surtout que cette souveraineté, en cette période de crise environnementale et climatique, revêt non seulement un enjeu économique et social immédiat, mais également un enjeu écologique d’importance. Ne le perdons pas de vue !
Max Dorléans (GRS) le 21 décembre 2022