— Par Roland Tell —
Le développement du système éducatif est un développement homothétique, c’est-à-dire lié à une progression, alors qu’un véritable développement passe par des stades de remaniement général, de restructuration générale de l’ensemble. Cette restructuration ne se fait pas.
Le système éducatif français tend toujours à demeurer sur le plan du développement homothétique quantitatif, sans véritables transformations structurales. Or, il y a nécessité de transformations structurales, à partir de considérations véritablement fonctionnelles, liées à des objectifs exprimables, à des formes opérationnelles données, mais liées aussi à des idéaux et à des finalités. Par conséquent, le nouveau langage de l’Éducation Nationale doit être un langage de procédure efficace. Il s’agit d’adapter les élèves à un monde de changements, à un monde où les contenus informationnels seront constamment offerts. Cela revient à dire que la méthode a la priorité sur les contenus.
C’est pourquoi la philosophie éducative doit prendre en main la manipulation intégrée des facteurs du système. Il faut qu’elle s’intéresse à ces facteurs, qu’elle les dévoile, et qu’elle donne les moyens de les manipuler, de manière intégrée. Il ne convient pas d’attendre la planification de conversions totales du système ! A cet égard, un changement d’attitude chez beaucoup d’administrateurs et de pédagogues ne saurait se faire sans un certain héroïsme ! Par exemple, la simple accession à des notions, comme la rentabilité du système éducatif, constitue, par rapport à une philosophie pure, un véritable scandale. Parce que la rentabilité ne se mesure pas, on est tout à fait fondé à maintenir les finalités et les objectifs, dans des termes irréductibles à l’analyse. Pourtant, il existe une différence radicale entre les finalités et les objectifs. Si on mesure les objectifs, on ne mesure pas les finalités. La finalité est un élan philosophique, elle est l’essence transcendante de notre action. Former des hommes libres, des esprits créateurs, amener chacun à son maximum de développement, sont des finalités. L’objectif est indépendant des personnes. Il y a un caractère neutre de l’objectif, et ce que l’action enseignante apporte de plus constitue comme une sorte de « plus-value » pédagogique. Faute de traduire cela, de manière nette, on ne sait toujours pas ce que le Collège exige exactement d’un élève venant de l’École Élémentaire ! Il en est de même du Collège vers le Lycée, et du Lycée vers l’Université !
Ce souci de rentabilité, qui paraît encore scandaleux, oblige les professeurs et les administrateurs à expliciter leurs objectifs, c’est-à-dire les comportements, les savoir-faire, permettant de distinguer les élèves ou les étudiants, ayant atteint ou pas ces objectifs. Le pourcentage élevé du redoublement ou du rattrapage est une conséquence inéluctable du fait de ne pas définir les objectifs, en termes de comportements, de connaissances, de techniques.
D’où la propension actuelle des professeurs, projetant des finalités dans leurs élèves ou étudiants, et attribuant à ceux-ci, par auto-gratification naturelle, cet élan qui les porte vers l’enseignement. L’enseignant doit se regarder, lui comme ses élèves, comme des éléments du système éducatif, regarder quelles sont leur rentabilité, leur efficacité. C’est hélas ! très difficile à réaliser. On peut y être porté par des considérations technologiques, par exemple par le travail en équipe, où l’auto-gratification n’est plus possible. Travaillant tous les jours, avec un ou des collègues, la projection de satisfecit n’est aussi plus possible ! L’introduction fréquente d’un regard externe dans le rapport pédagogique peut alors être considérée comme celle de la rentabilité, rompant ainsi la solitude du professeur devant ses élèves.
Hélas, cette solitude, en quelque sorte revendiquée, fait bien l’affaire du supérieur hiérarchique, en l’occurrence l’inspecteur, en quelque sorte complice de cette solitude, parce que le professeur étant seul, on n’admet dans la classe qu’un seul œil : le sien, donc le troisième œil, qui entre dans la classe pour valoriser avec un minimum d’objectivité, sans mettre en question la solitude fondamentale du professeur. Cependant, dans le cadre de l’animation pédagogique, ce sont des équipes, que le supérieur rencontre. La notion de jugement inspectoral n’a pas de sens en ce cas, puisque l’inspecteur est lui-même responsable du contenu et de la méthode de la dite animation !
En fait, il s’agit d’expliciter les objectifs en terme d’analyse, il faut s’arracher à l’auto-gratification, il faut s’ouvrir au travail d’équipe, il faut aussi savoir gérer les équipements. D’où la nécessité de procéder à des regroupements, ce qui paraît scandaleux, encore en fin 2017 ! Notamment, du point de vue de l’administration, de tous temps réfractaire à une organisation pédagogique, dans laquelle entrent les variables pédagogiques. Exemple d’actualité, le dispositif « Devoirs faits » au Collège va mobiliser, pendant quatre heures, par semaine, les élèves qui le souhaitent, face à de nouveaux professeurs volontaires, payés en heures supplémentaires, voire à des assistants d’éducation, ou à des jeunes en service civique ! Est-ce à dire que la véritable aide, censée contribuer à réduire les inégalités, le véritable contrôle, doivent être faits par d’autres, que ceux qui ont enseigné ? Est-ce pour éviter l’auto-gratification du professeur référent ? En ce cas, le contrôle en pédagogie devient-il indépendant des normes et modalités d’enseignement ? Un soutien véritable, une évaluation véritable, ne doivent-ils pas porter sur les rétentions, sur les transpositions, sur les généralisations, sur les applications ?
Le drame dans le système éducatif, c’est que les défis pédagogiques, les échecs scolaires, sont généralement extérieurs, alors qu’il importe qu’ils soient ressentis de l’intérieur, qu’ils soient ré-exprimés, et pris en charge par l’équipe pédagogique elle-même, articulés les uns aux autres, reliés à ce qu’il peut y avoir de valable dans les progressions de classe, afin de constituer de nouveaux éléments de doctrine et de méthodes pédagogiques. C’est à cette condition, qu’il sera possible d’avancer vers une philosophie des institutions, puisqu’il y aura création, au sein même de l’établissement, d’un réseau central d’interrogation, d’orientation, de volonté d’action.
Pour l’heure, restent les rapports de force, les revendications, les arbitrages venant d’influences juxtaposées, parfois antagonistes, constituant, depuis toujours, la maladie infantile des organisations éducatives. C’est d’autant plus paradoxal, que le système éducatif entend être fondé sur la participation ! Ne s’agit-il pas de lutter contre les cloisonnements en matière pédagogique, générant des catégories d’intervenants précaires, enseignant la même chose, avec des horaires différents, des titres différents, des statuts différents ?
Reste, en conclusion, à promouvoir cette philosophie des institutions éducatives, en s’appuyant sur tous ceux qui, dans l’établissement, veulent s’élever à une conception à la fois idéologique et opérationnelle, dans une confrontation permanente avec les conditions d’enseignement, telles que vécues, pour gagner en clarté et en efficacité.
ROLAND TELL