— Par Raphaël Vaugirard —
Suite de l’article :Pour une nouvelle approche des questions démographiques (1/2)
Il ne faut pas sous-estimer les flux de retour d’individus et de familles qui sont aussi une réalité. Les motivations observées sont : la retraite, le rapprochement familial de conjoints, les mutations d’agents de la fonction publique et autres. Contre toute attente, dans la période 1980-90, on a vu apparaître un gonflement significatif des flux de retour. H. DOMENACH a observé que de 1.500 retours, dans les années 1970, le processus s’est constamment accéléré pour atteindre 3 à 4000/an pour la Martinique dans les années 1980. Ce phénomène a été dénommé « rémigration ». Au point qu’en 1990, l’INSEE pronostiquait, « si ces tendances observées se maintenaient… », l’hypothèse d’une Martinique de 500.000 habitants en 2020 ! En plus des motivations citées plus haut, cette « rémigration » s’expliquait aussi par les difficultés croissantes d’absorption de MO de l’économie française (la France a atteint les 2 millions de chômeurs incompressibles en 1982). Ces difficultés se doublaient du sentiment de rejet et de xénophobie lié à l’irruption du Front National de J.M. Le PEN sur la scène politique française. Comment éviter de faire le lien de ce contexte délétère avec les évènements de l’aéroport en décembre 1986 en Martinique où l’avion amenant le leader FN a été interdit d’atterrissage ?
Au niveau social, à partir des années 1990, dans la lutte contre le chômage des jeunes devenue une priorité nationale, on a vu fleurir les dispositifs d’insertion et de formation. Les formules se succèdent (TUC, CES, CUI,..), les études, stages ou formation courtes, le travail temporaire,… Bref certains dispositifs donnent lieu à des séjours dans des structures centrales françaises. Elles donneront consistance au phénomène « mobilité ». Comment ne pas comprendre que la mobilité est porteuse démographiquement de fluctuations non ou mal saisies dans les recensements ?
Ajoutons pour mieux comprendre la volatilité du phénomène « mobilité », la facilitation inouïe des voyages aériens, la baisse du coût du billet résultant de la déréglementation dite « libéralisation du ciel » imposée par l’Europe en 1987. Les compagnies de transports monopolistiques nationales se privatisent et doivent s’inscrire dans le crédo européen qu’est la libre circulation, des capitaux, la concurrence. Au point que les nouvelles collectivités régionales de Martinique et Guadeloupe seront tentées de créer des SEM transports « Air Martinique » (1990), « Air Guadeloupe », pour prendre part aux besoins de mobilité et de déplacement des antillais.
La guerre inévitable des prix dans les transports aériens ne fera qu’amplifier la fréquence de voyages et déplacements dans les 2 sens, au point de banaliser un voyage de 8 heures pour un déplacement de 7.000km !.
Et puis vint la « continuité territoriale » ! Ce dispositif naît en réponse à des revendications contre les contraintes et les coûts d’éloignement des territoires insulaires portées par la Corse et les RUP Portugaises et Espagnole (Acores, Madère, Canaries). Le nouveau crédo est d’abolir les distances entre les iles et la France ou l’Europe. Il vient se surajouter pour mieux décloisonner encore et intégrer les espaces périphériques dits RUP dans l’Europe.
Rien de mieux pour fluidifier encore et massifier les flux aller/retours, démocratiser les voyages et élargir le champs des possibles pour les individus ou les familles dans leur quête de perspectives. Ce qui permet toutes les stratégies d’adaptation, de solidarité, notamment pour l’avenir des jeunes, mais aussi pour le confort de vie, les vacances, etc. Ainsi pour beaucoup de familles de Martinique ou Guadeloupe, « mieux vaut faire partir les jeunes diplômes ou non en France que de les avoir au chômage au pays, sans perspectives et sujets à des déviances de toutes sortes ».
Nouveau cycle des départs des jeunes depuis 2005 et l’accélération du vieillissement
On a pu observer que, de 1990 à 2005, la Martinique a connu un cycle économique positif, favorable à l’emploi, aux investissements des entreprises et des ménages, aux revenus (RMI créé en 1991) à la formation des jeunes. Les collectivités et les fonds européens dynamisaient l’économie locale à travers la commande publique. De grands chantiers (port, aéroport, hôpitaux, écoles, infrastructures routières, et nombre d’équipements publics) ont pu être menés. En sorte qu’en 2000, les questions démographiques n’étaient en rien un sujet de préoccupation ! La Martinique apparaissait encore dans la norme des populations jeunes. Dans la pyramide des âges, les « moins de 20 ans » constituaient 30% de la population et les « plus de 60 ans » 15%. Mieux que la France Métropolitaine qui avec près de 20% de « plus de 60 ans » était qualifiée de vieillissante.
En 1997, la loi Aubry dite des emplois-jeunes du gouvernement socialiste s’est adressée spécifiquement aux jeunes de 18 à 25 ans pour intensifier leur insertion professionnelle (l’objectif était d’en créer 150.000). Mieux que les CES (contrat emploi solidarité), ce dispositif volontariste a eu un véritable succès en Martinique où, entre 1997 et 2002 près de 10.000 « emplois-jeunes » ont été recrutés dans les collectivités, les organismes publics voire même les associations avec la prise en charge de leur formation pour pérenniser leur statut. Aucune politique d’insertion (TUC, CES, CUI,..) n’avait jusque là eu un tel effet au point d’assécher les flux de départs pour les jeunes « 18-25 ans » moins qualifiés. Ce cycle vertueux s’est accompagné d’une croissance régulière de la population. Il va se retourner à partir de 2002 du fait précisément des changements des politiques publiques de la droite Chiraquienne moins interventionniste que la Gauche de Jospin : suppression de la conscription,.., rabotage des dispositifs tant de la défiscalisation, suppression des emplois-jeunes ! Cette politique régressive en dépit des protestations répétées des élus et autres dirigeants des collectivités, aura pour effet de réactiver les flux de départs avec des effectifs en hausse constante.
Ainsi, depuis 2005, avec l’hémorragie de 4 à 5000 jeunes/an de « moins de 25 ans », non seulement la population décroît, mais c’est le triptyque « émigration- dépopulation-vieillissement » qui se trouve réactivé. Selon l’INSEE les « plus de 60 ans » en Martinique deviennent presque plus nombreux que les « moins de 20 ans ». Et nous retrouvons la régulation socio-spatiale entre les périphéries en panne de développement et la France Métropolitaine qui, même en panne de croissance, offre plus de possibilités.
En conclusion, pour alimenter cet indispensable débat, nous pensons que la soi-disant « décrépitude démographique » à laquelle la Martinique est confrontée, correspond pour beaucoup à de grandes « incertitudes des données démographiques » liées à l’inadaptation des statistiques issues des recensements réalisés par l’INSEE.
On ne peut faire l’impasse de cette importante communauté Antillaise forte de près de 400.000 expatriés fonctionnant avec les souches restées dans les îles. C’est le résultat de 60 ans de migrations menées par l’Etat français depuis le BUMIDOM dans la période 1962-81, puis l’ANT, LADOM, …En observant les adaptations familiales il y aurait aujourd’hui « 2 Martinique : une insulaire et une autre en France Métropolitaine », idem pour la Guadeloupe. L’approche de l’INSEE et ses méthodes confinées à la contrainte administrative de la Martinique intra muros et occultant les stratégies adaptatives des familles, ne rend pas compte de la réalité sociologique plus complexe du pays.
Toutes les familles insulaires ont des composantes et des ramifications de l’autre côté de l’atlantique. Alors comment traiter cette structuration sociologique qui réserve à tout moment, des possibilités de réversibilités des flux dans un sens ou dans l’autre? Y aurait-il des demi- familles lorsque les enfants ont quitté temporairement le territoire insulaire pour raison de travail, d’études ou formation ? Auquel cas le recensement de l’INSEE n’aurait pas d’autres significations que le calcul du taux d’occupation de l’ile !
Il faut mieux mesurer le phénomène qu’est la « mobilité » qui s’intensifie dans les démarches des jeunes et demandeurs d’emplois. Elle vient filtrer et relativiser la migration trop souvent prise abusivement comme un départ définitif. La mobilité pose donc clairement la question du PERIMETRE de la comptabilisation des effectifs de population. Proposons à l’INSEE de faire le recensement en intégrant les personnes participant de manière temporaire à une activité extérieure de moins de 2 ans, par exemple. Et nous aurons un chiffre de population reflétant un peu mieux la réalité Martiniquaise bipolarisée !
Mais force est de constater objectivement l’existence du mécanisme « émigration-dépopulation-vieillissement » auquel le territoire est actuellement confronté. Il s’active, dès lors qu’il n’y a pas ou plus de solutions sur place et raréfaction des emplois. C’est le cas depuis 2005. Mais l’inverse est également possible. Le cycle 1990-2005, démontre que lorsque les politiques publiques de l’Etat conjuguées à celles du développement local sont favorables, la démographie s’inscrit aussi dans une dynamique positive corrélative.
L’interpellation des responsables politiques est légitime en cette période pré-électorale. Les projets, pour avoir quelque crédibilité auprès du pays, devraient sortir de l’incantatoire et proposer des programmes d’actions agissant sur le réel et « offrant des solutions » aux jeunes, aux familles et aux acteurs de la vie économique. C’est la « capacité de donner des solutions » qui est désormais la donnée déterminante pour l’avenir.