— Par Marie-José Sirach —
La poésie sauvera le monde, de Jean-Pierre Siméon. Éditions Le Passeur, 86 pages, 15 euros. Directeur du Printemps des poètes, Jean-Pierre Siméon signe un pamphlet nerveux et enthousiaste. Pour la poésie.
C’est le livre d’un homme en révolte, comme on dirait, en colère. Jean-Pierre Siméon, poète, ose la poésie, le poème, la langue. Un livre comme un cri, Urgent crier !, proclamait André Benedetto, un cri pour dire haut et fort, sans détours ni faux-semblants, que « la poésie sauvera le monde ».
« Le poème demande un effort (…) : le silence, la lenteur, la patience », écrit-il. Affirmer cela aujourd’hui, dans nos sociétés où l’imaginaire est piétiné sur l’autel de l’image, où la langue est aseptisée, lissée jusqu’à la vider de son sens (de son sang), c’est nager à contre-courant des flots et du flux, de ces torrents d’images et de mots-mensonges qui prétendent parler du réel… Or « tout poème est un grain de sable dans les rouages de la grande machine à reproduire le réel », poursuit-il, quand tout concourt, par le truchement du divertissement, de la domination du conceptuel dans l’art, « à une lecture passive du monde ».
Alors Jean-Pierre Siméon entre en insurrection poétique. Contre nos sociétés souffreteuses, asphyxiées, dénonçant « la supercherie de nos démocraties » qui veulent des citoyens sous contrôle, dociles, serviles. Voilà pourquoi la poésie est malmenée. Non qu’on la dénigre, non. On l’ignore. On la méprise. On la ricane. Le cynisme devient une valeur sûre, on flatte la bassesse et l’égoïsme, on ovationne les sportifs quand autrefois on saluait les poètes. C’est dérangeant, les poètes. Ils sont des « curieux opiniâtres », des « questionneurs inlassables », des hommes libres « qui ne s’en laissent pas conter ». Quand les sociétés sont obsédées par le repli ou la quête identitaire, le poète refuse « d’être assigné à résidence », aimanté par le mystère de la nature humaine comme celui des étoiles, car il n’a peur ni de l’inconnu ni de l’altérité. Le poète cultive l’empathie, s’adresse à tous, sans aucune distinction. Le poète est un insoumis, refuse de marcher au pas, n’entre dans aucune case éditoriale élaborée au cours d’interminables brainstormings. Il prétend ne détenir aucune vérité, au mieux espère-t-il s’en approcher, jamais pour se l’approprier, toujours pour la remettre sur le métier.
Sa seule arme, c’est le poème, une langue qui vibre, palpite, respire, ne craint pas les émotions, toujours à l’affût, inquiète, fébrile. Une langue qui conteste, ravive les couleurs de la noirceur du monde. Une langue à portée de main et de cœur, qui fait sens dans un monde brouillé, brouillon. « Le poème est un arrêt dans la fureur, un silence dans le vacarme, une profondeur dans la surface, une lenteur dans la frénésie », poursuit Jean-Pierre Siméon. Et de conclure, haut et fort : « La poésie est une perpétuelle insurrection de la conscience. »