Une île en état de siège. Des populations prises en otage, empêchées, parfois par la force, de circuler.
En cette fin d’année 2021, la Martinique a vécu des moments de folie où des maîtres de l’île ont organisé de manière méthodique le blocage des secteurs névralgiques tels que l’approvisionnement en essence et le port maritime.
Mais derrière cette victoire apparente de l’intersyndicale, il en est une autre. Celle de l’opinion publique, exprimée sur les ondes radios dans les coups de gueule des habitants abasourdis par la rudesse des barrages et leur côté implacable, excédés par la durée et les méthodes d’un conflit mettant en panne la scolarité des enfants, ou encore l’ensemble des services de santé à la population.
Tous ici le savaient : nous n’avions pas vidé l’abcès de 2009 et de sa grande grève contre la « profitation » et ses excès notamment de vie chère. Mais ces événements de 2012 ont révélé davantage : l’existence d’une violence capable de prendre pour cible forces de l’ordre bien -sûr et aussi populations de tous âges, tout sexe et toute couleur.
Tout s’est passé comme si l’un des principaux moteurs du mouvement était une volonté de transgression, de refus des règles -au départ sanitaires- fixées par l’État pour l’outre-mer comme pour le territoire hexagonal, en vue de faire face, par la vaccination notamment, à la pandémie touchant le monde entier.
Ensuite, l’abcès non vidé de la grève de 2009 a fait le reste, conduisant les syndicats de la santé, renforcés par ceux d’autres secteurs, à réclamer comme en 2009 une négociation sur la vie chère.
LA MARTINIQUE S’INTERROGE SUR SON PROPRE MODÈLE
Car la crise est globale. Dans la Martinique de la décentralisation, les autorités ont de plus en plus de mal à remplir leur mission.
Dans bien des domaines, les responsables sont locaux. Mais chaque homme au pouvoir veut placer les siens et cette victoire de l’autonomie n’a en fait rien réglé. Comme elle n’est d’aucun secours pour donner à l’île sa compétitivité.
Transports publics, problème de l’eau et désormais gestion des déchets, services de l’État et des collectivités locales, les Martiniquais se crispent de plus en plus sur ce qu’ils considèrent comme des dysfonctionnements locaux graves. Et ils le disent, refusant de laisser cacher sans rien dire la poussière sous le tapis.
Quant au fossé des générations qui s’est creusé depuis plusieurs dizaines d’années, il ne pourra pas se réduire sans l’apport conjugué et déterminé des collectivités, de l’État et des entreprises.
ET MAINTENANT ?
Pour ce qui est des questions économiques, sociales et sociétales, rien ne peut et ne pourra se faire sur un claquement de doigts. Il nous faut des projets bien-sûr. Mais les seuls projets ne suffiront pas : la Martinique est condamnée à mettre en place un système de suivi de l’avancement des bonnes résolutions, la réussite est à ce prix.
Une partie de l’opinion publique montre une inquiétude sur la consistance de l’identité martiniquaise qui lui semble remise en question par et menacée par la nécessité de répondre aux vrais besoins de la population. Ne faudrait-il pas en finir avec l’hypocrisie et reconnaître que sur l’identité, nous faisons trop d’idéologie ?
Juste un exemple : en 2005, la gestion des déchets est passée de la compétence de l’État à celle des départements. Sommes-nous aujourd’hui satisfaits des résultats de ce transfert ?
Si nous en sommes là, c’est peut-être pour avoir trop longtemps toléré, entre laisser aller et laisser faire, des pratiques et des coutumes « locales » en contradiction avec le droit de la république.
Ce qu’il nous faut, c’est une identité à la fois martiniquaise et républicaine. Et un vrai remède de cheval : des plans, une action efficace, des contrôles et des sanctions. Pour cela, rien de tel qu’un peu d’État. N’est-ce pas ?
Jean-Pierre MAURICE