Interview de Bérard Bourdon par Michel Dural.
–Bérard Bourdon, membre dès 1975 de l’équipe qui anime le CMAC et co-fondateur du » poutyi pa téat » en 1980, nous est apparu comme l’un de ceux qui pourraient nous parler de I’histoire du théâtre à la Martinique. il a accepté de répondre à nos questions.
–Cette passion du théâtre, d’où vient-elle?
Cela remonte au début des années soixante, j’écoutais du théâtre à la radio (pas de télé, alors à Paris). J’ai appris qu’il y avait un atelier théâtre, rue Mouffetard, pas trop loin de chez moi, j’y suis allé, ça m’a plu de faire l’acteur. Après, j’ai lâché l’électronique, je suis allé au T.N.P (cour Ch. Dullin), puis, à l’institut d’études théâtrales, à la faculté de Censier entre 1968 et 1970. Je courais après le « cacheton », je faisais de petits boulots, un peu de régie, je jouais « la poudre d’intelligence » de Kateb Yacine par exemple, c’était bien.
Et ensuite?
Le « bouillon de culture » d’après mai 68 est retombé. Pour les comédiens, c’était les vaches maigres (même Jean Marais « pointait » au chômage). Je suis rentré en Martinique en 1972. Une structure culturelle départementale, une mission, se mettait en place autour de Michel Philippe. Henri Melon avait créé le TPM, le SERMAC travaillait, de nombreux groupes amateurs existaient dans les quartiers, les communes, à la F.O.L.
Et Ie CMAC?
Il était en gestation. La Mission Culturelle demeurait en 1974, le Centre Martiniquais d’Animation Culturelle (le mot « animation » sera remplacé plus tard par le mot « Action ». Vers cette époque (1976) l’un des soucis est la formation des comédiens, d’où la naissance d’Ateliers au CMAC comme au SERMAC, avec des intervenants de haut niveau. Des troupes naissent le « Théâtre Existence » autour de Roger Robinel, le Théâtre Universitaire Martiniquais et bientôt le « Poutyi pa téat » en 1980 dont le CMAC accueille la première production « les fusils de la Mère Carcos » de Brecht.
Etait-ce le point de départ à une « professionalisation » du théâtre à la Martinique?
Oui et non. C’est de cette époque que date, c’est sûr, la confusion et le débat peut-être sans issue, sur « amateurisme » et « professionnalisme ». Le « professionnalisme » suppose deux choses, une formation au métier puis une pratique de ce métier qui, en principe, doit nous permettre d’en vivre. Au vu de ces deux critères, qui était « professionnel » à l’époque, et qui l’est aujourd’hui? Une production, même très réussie sera jouée dix fois, quinze au maximum et après?
Je ne vous sens pas très optimiste…
Non. Je ne trouve pas que le théâtre aille bien à la Martinique, ni que le public que nous voulions pourtant conquérir et fidéliser réponde à notre attente. J’ai même le sentiment qu’il est moins présent et qu’il continue à faire la confusion entre le théâtre et ces spectacles faits d’un montage de sketches, présentés souvent comme du théâtre, dont l’objectif est le rire à n’importe quel prix, et non la qualité du spectacle proposé.
Cette fois, c’est presque de l’amertume, non?
C’est un peu décourageant de voir l’Atrium rempli pour un spectacle »comique » qui ne propose rien de nouveau, aucune mise en scène, aucune recherche, alors que des productions travaillées, créatrices sont données devant trente ou quarante spectateurs, salle Frantz Fanon ou au théâtre municipal.
Est-il, donc utopique de rêver d’un public populaire mieux informé et mieux formé, et pour qui le théâtre ne signifie pas forcément rires gras et divertissement lourd?
Je m’interroge. C’est vrai que le théâtre est une pratique culturelle relativement récente en Martinique. Mais cela fait plus de vingt ans que des efforts sont faits pour attirer vers un théâtre de qualité un public plus large. Je ne trouve pas les résultats très probants.
Ne faudrait-il pas commencer avec un jeune public, avec les scolaires?
C’est un travail que le CMAC mène depuis longtemps, mais il me semble que tant que l’institution scolaire ne mettra pas tout en œuvre pour que se comble le fossé entre le théâtre et l’école, on n’ira pas très loin.
Que faudrait-il faire?
Convaincre d’abord les enseignants et les responsables (directeurs d’école, principaux, proviseurs) qu’une vraie rencontre entre les élèves et le spectacle théâtral, une rencontre préparée, accompagnée, exploitée, peut-être un moment fort dans leur formation et non une récréation tournant souvent au chahut. Et, bien sûr, augmenter les crédits permettant ces rencontres, le déplacement du jeune public vers de vraies salles de théâtre avec la magie dont le théâtre a besoin (lumières, acoustique, décors…).
Ne faudrait-il pas, aussi privilégier un théâtre plus facile d’accès, plus contemporain, plus proche des réalités martiniquaises ? Un théâtre créole et en longue créole?
Sans doute, mais, je n’ai aucune envie d’un ghetto culturel. Au « Poutyi pa téat » le souci de présenter des pièces martiniquaises s’est traduit par la création de « Man chomil » de G. Mauvois, de « Mango » de Placoly, prochainement ce sera « Bef douvan » de Th. Léotin. Ceci dit, notre première pièce fut « Les fusils de la mère Carcos » de Brecht et nous avons joué Molière. Je pense que le public, ici comme partout a besoin de diversité et de qualité.
Comment voyez-vous l’avenir du théâtre en Martinique?
On devrait pouvoir être optimiste, à Fort-de-France, il y a le CDRM, le CMAC Scène Nationale, le Centre Culturel Départemental, le SERMAC, plusieurs troupes de théâtre en commune, des efforts sont faits, à Trinité, au Marin.
Et pourtant?
Pourtant, la dynamique qui devrait en résulter ne me paraît pas suffisante. Il faudrait une synergie. Le plus souvent les projets, les programmes se font en ordre dispersé, parfois en concurrence. Le théâtre, bien sûr, c’est une affaire de passion, de création, c’est une affaire d’artistes. Mais, il a besoin de cohérence et de simplicité.
Propos recueillis auprès de Bérard Bourdon par Michel Durai