Discours de René Beauchamp pour le KSG au congrès des élus départementaux et régionaux
(26 juin 2019)
Ce 15ème Congrès, comme vous le dîtes Mme La Présidente : c’est une opportunité offerte par la volonté du Président Macron d’engager une révision constitutionnelle. Et puisqu’apparait la notion de « Droit à la différenciation territoriale », pourquoi ne pas en profiter ?
À vous entendre, ce Congrès serait le Congrès du « Pourquoi pas » Nous préférons quant à nous qu’il devienne le Congrès du « Parce que »:
– Parce que nous sommes le Peuple Guadeloupéen
– Parce que nous sommes déjà différents en étant nous-mêmes, sans autorisation de quiconque.
Parce que, voter sous la pression d’autrui, en l’occurrence de partis politiques extérieurs, ce n’est pas exprimer la voix de la Guadeloupe. On n’est que « répondè » autour du discours de l’Autre, mais absent de sa propre parole
Vous êtes issus du suffrage des Guadeloupéens. Pour peu que vous respectiez le principe de la souveraineté électorale des Guadeloupéens, vous devriez, sans autorisation de l’Etat français, pouvoir vous poser les vraies questions à propos de notre propre territoire en vue de vraies réponses.
Quelle est la pertinence d’un Congrès réduit aux élus Départementaux et Régionaux, s’il n’est justifié que par une énième Loi d’Orientation pour l’Outre-Mer et ne se lève qu’au coup de sifflet de Paris ?
Telle est la question
On a beau tourner autour du pot avec le mot « différenciation », la question guadeloupéenne, qui se pose depuis toujours, se résume en un mot :
Décolonisation
Le Pays que nous nommons aujourd’hui « Guadeloupe » n’est pas né récemment de la cuisse du dernier Jupiter venu. Son peuple s’est forgé dans la violence de la Conquête coloniale, l’enfer de l’esclavage, à travers les luttes pour les Droits humains, contre toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme, qu’elles soient esclavagistes, semi-féodales ou capitalistes.
Le peuple guadeloupéen est né de tout cela
Venir nous parler aujourd’hui de « Droit à la différenciation », n’est-ce pas l’aveu déguisé du mensonge de l’Assimilation ?
Durant la longue période esclavagiste, parlait-on de Droit à la différenciation ? Non, on parlait soit de maintenir la servitude soit de s’en libérer ?
Durant la période post-esclavagiste, de l’abolition de 1848 jusqu’aux guerres mondiales de la première moitié du XXème siècle, parlait-on de Droit à la différenciation ? Il n’a pas fallu longtemps à la grande majorité du peuple, passé d’esclaves à salariés, pour constater que la même minorité blanche soumettait à son bon vouloir la même majorité laborieuse, noire et de couleur. Dans cette société plus que jamais coloniale, les inégalités sociales liées au mépris raciste subi par le plus grand nombre, en somme, la différenciation entre blancs et colonisés,
constituaient la norme.
On parlait encore de Liberté et d’Égalité entre les hommes.
Le contenu des luttes politiques de cette période de Légitimus à Boisneuf, jusqu’à Rosan Girard s’inspiraient de ces questions
Les pays d’outremer étaient possessions françaises, mais ce n’était pas la France.
Dans ces pays les peuples autochtones n’avaient pas voix au chapitre et les territoires, avec la force de travail locale, n’avaient d’autre fonction que de fournir à la Métropole les richesses dont elle avait besoin.
La Guadeloupe n’échappait pas à la règle surtout avec sa particularité historique de colonie de peuplement majoritairement africain. Le terme de « français » ne marqua pas, à proprement parler, un état civil, une identité culturelle, une nationalité, mais un acte de propriété, comme la marque du bétail. Marque incrustée dans les mentalités même après l’abolition de l’esclavage.
Cette différence établie n’interrogea jamais le pouvoir colonial. Jusqu’à ce qu’il lui fut stratégiquement nécessaire de faire croire à l’indigène que la vraie source d’égalité se trouvait dans l’imitation du blanc, dans l’assimilation.
Les deux grands conflits mondiaux du XXème siècle entre Puissances Européennes pour le partage du monde, inspirèrent une nouvelle tactique : construire un patriotisme français factice chez les colonisés. Pour faire de l’ensemble des peuples de l’Empire un immense réservoir de chair à canon, il fallait leur donner du coeur à l’ouvrage. Mourir pour la Patrie à Dardanelles ou ailleurs, cela permettait de mériter de la France.
C’est sous les traits d’une « Mère-Patrie reconnaissante et généreuse » que le nationalisme républicain français affronta le patriotisme anticolonialiste qui çà et là prenait de la vigueur dans les colonies. L’embrigadement militaire alla de pair avec la propagande assimilationniste.
Le subterfuge s’est aggravé avec la Départementalisation d’Après-Guerre, où l’Education Nationale se chargea d’entretenir l’amnésie des générations futures.
Toute différenciation étant dès lors interdite, il valait mieux exprimer sa volonté D’ÊTRE FRANÇAIS À PART ENTIERE
N’ayons pas peur de la vérité !
En 2019 la Guadeloupe reste un pays à décoloniser.
– Une concentration des échanges extérieurs vers la France sur un nombre limité de produits
– Le confinement dans des activités économiques principalement consacrées au profit de l’extérieur (De la France principalement), l’extrême difficulté d’entreprendre en guadeloupéen.
– Le développement d’une société de surconsommation de produits alimentaires, de biens et d’équipements d’importation. Le non-développement d’une économie de production guadeloupéenne.
– Un chômage endémique aux conséquences criminelles pour la jeunesse.
– La destruction quotidienne du socle de l’identité guadeloupéenne et des possibilités d’intégration du pays dans son espace géopolitique naturel qu’est la Caraïbe.
– Un modèle éducationnel fragilisé par les modèles de la société de consommation véhiculés par les médias de masse.
– Les structures de l’Etat et des collectivités territoriales, conçues et administrées pour maintenir les guadeloupéens dans la soumission et le renoncement de soi.
Si la France ne l’entend toujours pas de cette oreille, ce n’est pas à nous de faire encore une fois mentir l’histoire. Ce n’est pas un gage de réalisme et de dignité de réclamer à l’Etat, surtout avec des mots empruntés au Président français, « le droit à la différenciation »
Vous êtes la voix d’un pays où, à partir de ses propres enfants contestant l’Assimilation, sont nées les premières affirmations de l’identité guadeloupéenne. Quand toute notre différence vient du combat de nos aînés, de notre histoire, que faîtes-vous d’autre en la quémandant à la France, que l’éloge de la servilité ?
Oui, mesdames et messieurs les élus, la source de toutes les inégalités, de tous les freins au développement c’est la situation coloniale.
Telle est la vérité. La taire encore en 2019, ce n’est plus de l’ignorance ni de la naïveté.
Ce Congrès est-il celui de la complicité renouvelée avec un mensonge d’Etat ou celui de notre vérité guadeloupéenne ? Sera-t-il un énième pétard mouillé ou un premier pas vers l’ouverture d’un vrai horizon politique ?
C’est la vraie question
Il y a chez les guadeloupéens, une vraie volonté de changement, mais éparpillée et constamment détournée pour servir des ambitions personnelles, voire politiciennes
Sans pointer tous ces symptômes du mal guadeloupéen qui n’est autre que celui d’un pays colonisé
Sans considérer dans leur ensemble tous les efforts des guadeloupéens qui tendent déjà vers la décolonisation
Sans faire en sorte que l’expression de la volonté populaire soit garantie par la Souveraineté électorale
Il n’y a pas d’horizon politique possible
Faire Guadeloupe ensemble. Voici la dynamique qui se fait jour. Une dynamique avant tout citoyenne, qui résultera en effet de l’ensemble des efforts de résistance et de reconquête qui dessinent, en Guadeloupe même, la voie de la responsabilité collective.
Il s’agit maintenant de les relier, de créer une interaction plus féconde des guadeloupéens.
RÉINVENTONS LA POLITIQUE POUR UNE AUTRE GUADELOUPE !
Depuis la Conquête coloniale, nous avons passés beaucoup de statuts sans épuiser le nombre de statuts que l’Empire français garde en réserve pour habiller ses colonies, comme leurre juridique utilisé pour masquer l’horizon politique de l’autodétermination.
On a donc bien acquis le droit d’en avoir assez et de prendre la liberté de nous définir et de nous déterminer nous-mêmes
Parce que, derrière les statuts, un mal ronge les esprits: la servilité. Pour emprunter l’expression du poète Sony Rupaire
… maléré ka byen santi sa pa kalé
men ka aché dèwò sa ki adan yo-menm »
L’urgence est celle d’un Projet de société porteur d’émancipation pour la Guadeloupe.
Ce Congrès n’y suffira pas. Il n’est pas fait pour ça. Si l’on veut balayer les vrais obstacles au développement du pays, à l’épanouissement du peuple, au renforcement de l’identité, c’est bien la LIBERTÉ politique de le faire qui est en question.
C’est d’abord sur la concertation avec toutes les forces vives de notre peuple, sur le regroupement de toutes les ressources et initiatives populaires professionnelles, intellectuelles, associatives et humaines) qu’il faut compter pour construire un tel projet politique porteur d’une offre de gouvernance guadeloupéenne en dehors de toute tutelle …
La démocratie n’est pas l’addition simple des bulletins de vote. C’est avant tout le résultat du dialogue entre citoyens informés, ayant eu le temps et les moyens de comprendre et de se comprendre.
Des décennies de débat dit « statutaire » et la nullité de ses résultats nous apprennent qu’on ne change pas une société par vote de résolutions.
Ce qui signifie (et il faut l’entendre) que ce qui ouvre à tous les changements de société, c’est le renversement du système dominant de pensée (pour l’heure copiée-collée), de la conception des institutions qui en découlent, de la pratique quotidienne des acteurs.
RÉINVENTONS LA POLITIQUE POUR UNE AUTRE GUADELOUPE !