— Par Max Dorléans (GRS) —
Il faut le dire sans détour. Ce ne sont point les trois inspecteurs dépêchés en Martinique par l’actuelle ministre de la santé, Agnès Buzyn, qui régleront quoi que ce soit, non pas en matière de santé tout court, mais en matière de santé donnant satisfaction à l’immense majorité de la population, grâce à un véritable service public de santé et de soins pour tous et toutes.
C’est ce dont il s’agit, et rien d’autre, et il ne faut pas se raconter d’histoire. Quelque soient les discours et les formes respectées et mises en œuvre par l’équipe de trois sauveurs suprêmes (de l’Inspection générale des Affaires sociales) envoyée pour sauver le CHUM, quelque soit la bienveillance dont elle fera preuve avec l’ensemble de la communauté hospitalière du CHUM, quelque soit encore l’importance des concessions qu’elle pourra faire ou des subsides supplémentaires qu’elle pourra lâcher, ne soyons pas dupes, sa mission fondamentale est de définir le cadre et les moyens devant servir à la mise en œuvre des orientations gouvernementales en matière de santé, et d’opérer dans le court terme, des coupes dans les moyens donnés au CHUM qui devra fonctionner sur le modèle hôpital-entreprise. Un projet précédé d’un petit chèque de 11 millions d’euros pour faciliter et rendre le dialogue plus aisé et plus crédible.
Soyons clairs. S’il n’y a pas de doute sur l’idée que les missionnaires ne discuteront pas des difficultés de divers ordres du CHUM – et qu’ils vont très vraisemblablement accompagner la direction de celui-ci dans la résolution de quelques une de ses difficultés (question des fournisseurs…) – le fond de leur mission consiste dans le cadrage du CHUM, non point par méchanceté ou autre revanche sur on ne sait quoi, mais par conformité stricte avec les politiques austéritaires de Macron et de son gouvernement. Des politiques austéritaires qui visent, dans la concurrence mondiale acharnée, à améliorer la compétitivité de l’économie française, laquelle passe par la réduction du coût du travail et la réduction de l’ensemble des dépenses publiques qui font le lit de la privatisation de la santé, déjà recherchée avec application depuis des décennies, par les gouvernements de droite et de gauche. C’est fondamentalement ce que nous devons avoir en tête, pour ne pas se laisser abuser par les inspecteurs missionnés de passage en Martinique ayant en tête le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018, lequel prévoit une réduction des crédits de 15 milliards de réduction en 5 ans, et dont l’hôpital va être la première victime avec 1,6 milliard d’économies budgétaires.
Ne soyons pas dupes. Tout se tient dans leur projet de société, où ne l’oublions pas les inégalités sociales et autres se creusent à vue d’œil. Le projet de société que poursuit Macron est clair : toujours plus d’attaques contre les droits sociaux, toujours plus de cadeaux aux riches, toujours plus d’efforts demandés aux classes populaires. Et, si sa politique est nettement une politique de classe, la modernité dont il se prévaut relève d’un archaïsme bien connu : œuvrer à une société du « chacun pour soi », où « l’enrichissement individuel» est la marque de fabrique, et où toute forme de solidarité est absente. C’est donc à l’aune de cette lecture de leur projet que nous devons examiner la mission du trio d’inspecteurs, de leur ministre de tutelle Agnès Buzyn, du gouvernement auquel elle appartient, de Macron aujourd’hui comme des Hollande, Sarkozy…avant lui, afin de ne pas se tromper sur leur projet en matière de santé – et de protection sociale – car tous partagent une même conception de la santé, qui fait de cette dernière une marchandise qui s’achète et se vend comme n’importe quelle autre marchandise.
Un projet (marchandisation de la santé) dont l’objectif final est de faire du domaine de la santé, un domaine où il y a du profit à faire – comme ailleurs – qui nécessite de détruire globalement et méthodiquement le service public (ou plutôt ses restes), pour n’en laisser subsister qu’un petit appendice pour les plus pauvres et les indigents, comme au début du siècle dernier. De l’assistance publique, sans dire son nom. Loin donc d’eux, le trio comme l’immense majorité de la classe politique, comme l’immense majorité de la classe dominante, l’idée d’un service public de santé et de soins gratuit et accessible à tous et toutes, d’une qualité n’ayant rien à voir avec les bribes de celui en déshérence existant actuellement, mais dont les moyens pour le faire existent effectivement et doivent être encore développés. Non seulement moyens matériels de tous ordres, mais moyens humains d’abord.
Sauf qu’avant tout, il faut donc savoir ce que l’on veut, et de quoi on parle. De quel service public s’agit-il, de quel hôpital public parle-t-on ? Le CHUM à redresser, est-il question de le faire dans le sens d’un véritable service public hospitalier, ce qui signifierait une orientation bien éloignée de celle prise par lui, non pas seulement depuis 2013 avec la fusion, mais depuis belle lurette, ou bien le redressement à opérer, doit-il se faire dans le sens de la privatisation de la santé dans lequel les gouvernements successifs se sont engouffrés depuis une quarantaine d’année, non sans quelques difficultés. On est donc à une croisée des chemins. Car on ne passe pas évidemment aussi facilement qu’on le veut d’une époque où on a vu un système de santé arrimé à un système de solidarité collective (la Sécu) qui a permis des progrès colossaux en matière sanitaire et sociale pour le plus grand nombre, à une époque où l’on cherche à imposer, sous couvert « d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins dispensés aux patients », un système où l’on va être soigné en fonction de ses moyens. Reste que, dans l’immédiat, pour ceux qui tiennent le haut du pavé, à l’ARS comme à la direction du CHUM (et pas uniquement), la conversion à cette conception de l’hôpital-entreprise est de longue date déjà réalisée. Avec malheureusement une (déjà) trop longue liste de suicides, burn-out, maltraitance…comme conséquences inévitables de cette conception et de l’introduction d’un management axé fondamentalement sur les résultats financiers. Une conversion visant, et c’est surement le plus difficile, à faire fonctionner l’hôpital, ici au CHUM comme en France (Paris, Marseille, Toulouse, Grenoble…), selon les critères de l’entreprise privée, sans autres «couacs», comme celui majeur et inattendu de remise en cause de la fameuse T2A, présentée depuis 15 ans par les plus grands experts, comme la formule cardinale, pour financer les établissements hospitaliers.
Macron et son gouvernement marchent sur une ligne de crête qui jusqu’ici leur a été favorable. Le libéralisme à tout crin semble avoir des ailes. A l’inverse, l’idée de solidarité, de sécurité sociale, de services publics de qualité…semble avoir pris du plomb dans l’aile. Pourtant aujourd’hui, avec les inégalités croissantes, le chômage massif, la pauvreté en augmentation…c’est l’idée de la solidarité et le refus du « chacun pour soi » et le leitmotiv « enrichissez-vous» qui doit être à l’ordre du jour. Ce qui signifie qu’au CHUM, ce qui doit prévaloir, pour avancer vers une solution satisfaisante pour le plus grand nombre, c’est l’idée, comme l’a indiqué le « Collectif Douvan Douvan » d’une gouvernance de l’hôpital associant représentants de la population, représentants des usagers/patients, représentants de la communauté médicale, paramédicale et autres, représentants de l’administration.
Car l’hôpital public, et plus largement le système de santé, ne doit plus être un lieu où l’on « soigne des budgets, non des êtres humains », où l’on dispense des soins à des objets dont le cœur bat, à des gens à qui l’on demande, sans plus, leur carte vitale, pour devenir un lieu où l’on prodigue des soins à êtres dotés d’une histoire, d’une singularité, que l’on prend le temps de comprendre et d’écouter. Dire cela, c’est dire que le droit à la santé est un droit fondamental dont chacun doit pouvoir bénéficier sans restriction. C’est en même temps indiquer dans quel univers on entend se situer, quel hôpital on souhaite construire, quel système de santé et de soins on veut mettre en place, et au-delà quel modèle social on veut faire émerger, pour nous comme pour les générations à venir. C’est ce que nous avons à faire entendre au trio d’inspecteurs de passage.
Max Dorléans (GRS)