A l’heure où les mutations économiques et sociales alimentent toutes sortes de préjugés, une initiation aux sciences sociales est plus que jamais nécessaire, expliquent dans une tribune un collectif d’économistes, de chercheurs et de politiques.
A l’occasion des 50 ans des sciences économiques et sociales, l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales (Apses) a rédigé une tribune sur la place des sciences économiques et sociales dans le système éducatif, déjà soutenue par une quarantaine de chercheurs en sciences sociales.
TRIBUNE. Cela fait maintenant cinquante ans que les sciences économiques et sociales (SES) ont été introduites au lycée. Dès l’origine, cet enseignement était une innovation majeure : une discipline scolaire originale associant les apports de différentes disciplines universitaires (économie, sociologie, anthropologie, histoire et science politique) pour éclairer les enjeux économiques et sociaux contemporains.
Cinquante ans plus tard, les SES continuent de contribuer à la formation intellectuelle et citoyenne des élèves, en éclairant les sujets majeurs des débats démocratiques actuels : la croissance et ses limites (notamment écologiques), l’emploi et le chômage, les transformations du lien social, le fonctionnement des entreprises et des organisations, les inégalités (notamment entre les femmes et les hommes), les rôles complémentaires du marché et de l’Etat dans l’économie, la mondialisation, la stratification et la mobilité sociales, la construction européenne, le fonctionnement des institutions politiques, etc.
Cette innovation s’est durablement installée dans le système éducatif français. L’appétence ne se dément pas : les SES sont choisies par 85 % des lycéens de seconde générale et technologique comme « enseignement d’exploration » et le bac ES (économique et social) est aujourd’hui la deuxième voie d’accès au baccalauréat. Les parcours des bacheliers ES ou B témoignent également de la réussite de cet enseignement.
Statut secondaire
Ce bilan positif ne doit pourtant pas masquer que la plupart des élèves qui sortent du lycée aujourd’hui n’ont suivi, au mieux, qu’une heure et demie de SES en seconde, sous la forme d’un « enseignement d’exploration » au statut secondaire, le plus souvent sans possibilité de travail en groupe. En si peu de temps et dans ces conditions, peu de sujets peuvent être sérieusement abordés dans le cadre de la découverte d’une discipline nouvelle, dont il faut s’approprier les méthodes et les raisonnements.
A l’heure où, en Europe et ailleurs, les mutations économiques et sociales majeures qui affectent des sociétés de plus en plus complexes alimentent toutes sortes de préjugés, une initiation au « regard éloigné » des sciences sociales est pourtant plus que jamais nécessaire. Tous les lycéens de seconde devraient bénéficier d’un enseignement de sciences économiques et sociales obligatoire dans des conditions revalorisées au regard de l’importance des sujets abordés et des démarches intellectuelles mises en œuvre. Les SES devraient également pouvoir être proposées en dehors de la seule série ES.
Nous formons donc le vœu que la célébration de ces cinquante années de SES au lycée fournisse l’opportunité de donner à cet enseignement la place qui doit être la sienne dans la culture commune transmise par l’école à tous les élèves.
Les signataires
Premiers signataires de la tribune en faveur des sciences économiques et sociales dans le système éducatif :
Wladimir Andreff (économiste, professeur émérite à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne), Stéphane Beaud (sociologue), Stéphane Bonnéry (professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII-Saint-Denis), Gérald Bronner (sociologue, professeur des universités, Académie des technologies), Julia Cagé (économiste, Sciences Po), Philippe Cibois (ancien président de l’Association française de sociologie), Philippe Corcuff (maître de conférences de science politique à l’IEP de Lyon), Jézabel Couppey-Soubeyran (maître de conférences à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne), Jérôme Deauvieau (professeur de sociologie, directeur du département de sciences sociales de l’Ecole normale supérieure), Hervé Defalvard (économiste, université Paris-Est-Marne-la-Vallée), Yves Deloye (professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux, ancien secrétaire général de l’AFSP), François Dubet (sociologue), Julien Fretel (professeur de science politique à l’université Paris-I, président de l’Association des enseignants et chercheurs en sciences politiques), Jacques Généreux (maître de conférences des universités et professeur à Sciences Po), Benoît Hamon (candidat PS à l’élection présidentielle), Nathalie Heinich (sociologue, directeur de recherches (CE) au CNRS), Matthieu Hély (professeur de sociologie à l’UVSQ et président de l’ASES), Florence Jany-Catrice (économiste à l’université de Lille-I), Yannick L’Horty (professeur de sciences économiques, UPEM), Agnès Labrousse (maîtresse de conférences en économie à l’université d’Amiens, vice-présidente de l’AFEP), Bernard Lahire (professeur de sociologie à l’ENS de Lyon, membre senior de l’Institut universitaire de France), Eloi Laurent (économiste, OFCE/Sciences Po, Stanford University), Erwan Le Nader (président de l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales), Frédéric Lebaron (professeur à l’ENS Paris-Saclay, président de l’Association française de sociologie), Nonna Mayer (CNRS-Sciences Po, ancienne présidente de l’Association française de science politique), Dominique Méda (professeure de sociologie à Paris-Dauphine), Pierre Mercklé (sociologue, ENS de Lyon), André Orléan (directeur d’études à l’EHESS, président de l’AFEP), Thomas Piketty (économiste, directeur d’études à l’EHESS), Nicolas Postel (professeur ès sciences économiques, université de Lille/Clerse/CNRS), Tristan Poullaouec (maître de conférences en sociologie, université de Nantes), Romain Pudal (sociologue, chercheur au CNRS, vice-président de l’AFS), Jean-Yves Rochex (professeur en sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII-Saint-Denis), Emmanuel Saez (professeur d’économie à l’université de Californie, Berkeley), Nicolas Sauger (professeur de science politique à Sciences Po, secrétaire général de l’Association française de Science politique), François de Singly (professeur de sociologie, université Paris-Descartes), Andy Smith (directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, président de l’Association française de science politique), Richard Sobel, professeur d’économie à l’université Lille-I), Bruno Tinel (économiste, université Paris-I), Fabien Truong (sociologue, université Paris-VIII), Louis-André Vallet (sociologue, directeur de recherche CNRS).