Par Virginie Gorson-Tanguy, porte-parole du Mouvement national des chômeurs et précaires
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Alors que le chômage et la précarité se sont installés durablement, la «conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale» se doit de présenter des mesures fortes, justes et efficaces. Mais la précision des objectifs dépend de la fiabilité des constats.
Il aurait fallu d’abord ne pas déconnecter emploi et pauvreté, comme le souhaitaient les organisations de chômeurs, qui n’ont pas été écoutées. En juillet, le gouvernement a parlé emploi, avec les syndicats. En décembre, il parlera pauvreté, majoritairement avec les associations. Ainsi va le dialogue social en France. Ce cloisonnement pourrait n’être qu’un détail si finalement les questions fondamentales étaient posées : comment créer de l’emploi ? Et s’il n’y a pas d’emploi pour tout le monde, comment faire pour qu’une partie de la société ne sombre pas dans la précarité durable ?
A la création du RMI, conçu comme un dispositif de secours aux personnes les plus exclues, le chômage n’était pas aussi important qu’aujourd’hui et les chômeurs de longue durée n’étaient pas aussi nombreux. De période de transition entre deux emplois, le chômage est devenu pour beaucoup un statut durable : licenciés, «trop jeunes», «trop vieux», «pas assez formés», «trop qualifiés»…la file des demandeurs d’emploi s’allonge et le poids de la culpabilité s’alourdit. Sans emploi pour tout le monde, la compétition érigée en valeur fait des dégâts sérieux sur les individus et les familles. De «liberté, égalité, fraternité» nous sommes passés à «anxiété, inégalité, compétitivité», sans que eux, nous, chômeurs, précaires, smicards, futurs ou anciens, pourtant tous citoyens, ayons été consultés sur ce grand chambardement.
Il est pourtant une vérité qu’il serait bon d’entendre plus souvent, et plus fort : aujourd’hui, en France, comme d’ailleurs partout en Europe, il n’y a pas d’emploi pour tout le monde. Le chômage est la conséquence d’un système qui dysfonctionne : le travail ne se partage pas, les richesses non plus. Et tandis que le très riche devient encore plus riche, en croulant sous le travail, le précaire croule, lui, sous les angoisses et les dettes. On nous reproche d’en faire un peu «trop», on nous renvoie à la responsabilité individuelle et à la spécificité des parcours de chacun. Nous affirmons, nous, que le chômeur n’est pas responsable du chômage et que c’est une responsabilité collective que de trouver des solutions. Un travail de long terme reste à mener pour un partage juste et équitable du travail, qui s’impose si l’on veut créer de l’emploi et réduire les inégalités. A court terme, et cela doit être l’objet de cette conférence de décembre, il est impératif de revenir au principe de solidarité, le fondement de notre société, et surtout, le mettre en œuvre.
Une déclaration d’intention serait facile, mais la méthode est usée, et les chômeurs et précaires aussi. Commençons par une revalorisation des minima sociaux : on nous dit que ce n’est pas «audible», que personne ne comprendrait, que cela coûte trop cher. Les «caisses sont vides». Aux vues des dernières mesures gouvernementales, elles ne le sont visiblement pas pour tout le monde. Des comparaisons s’imposent : une augmentation des minima sociaux de 250 euros coûterait 6 milliards, la fraude aux cotisations des employeurs représente 15 milliards. Concrètement, l’évolution du RMI puis du RSA a durablement décroché par rapport à celle du Smic : en 2000, le RSA représentait 40% du Smic, c’est aujourd’hui seulement 33%, soit une diminutionde 100 euros par rapport au Smic. Encore plus concrètement, une très grande partie des chômeurs vit sous le seuil de pauvreté, fixé à 964 euros quand le RSA de base n’est qu’à 474 euros.
Croyez-nous, être au chômage, vivre avec les minima sociaux, ce n’est pas un choix de vie. Mais, évidemment, pour le savoir, il faudrait que les chômeurs et précaires aient leur mot à dire et qu’ils soient écoutés. Au lieu de les réduire, à longueur de conférences politiques et d’émissions, au statut de témoins passifs mais coupables d’une situation qui les dépasse, il faut leur donner les moyens non seulement de s’exprimer mais aussi de proposer des solutions et d’assurer leur représentation collective. Si les voix organisées du chômage et de la précarité se faisaient entendre dans les lieux de décision qui les concernent et sur les plateaux de télévision, les minima sociaux auraient peut être déjà été revalorisés, et l’idée d’un revenu décent pour tous, à défaut d’emploi, s’imposerait –qui sait ?– comme une évidence. Un choix de société, pour un choc de solidarité : c’est possible !
Libé+ 10 décembre 2012 à 08:44