Pour l’exercice de la culture

— Par Isabelle Alfandary, Gisèle Berkman et Sylvie Gouttebaron —

cultures-1Il importe que les mots de transmission, de culture, d’humanités, soient plus et autre chose que des mantras pour technocrates, ou de cyniques «éléments de langage»…

Nous voici à l’heure d’un malaise dans la culture sans précédent, dont la grève actuelle à Radio France est l’un des symptômes. Au moment où les salariés d’un lieu éminent de la culture refusent de laisser entamer leur mission par les coupes claires d’un «plan social» visant à éradiquer jusqu’à 300 postes, à l’heure où l’Éducation nationale, pour sa part, peine à se relever de la politique désastreuse du précédent quinquennat, il importe que les mots de transmission, de culture, d’humanités, soient plus et autre chose que des mantras pour technocrates, ou de cyniques «éléments de langage» substituant les «compétences» aux savoirs, la «visibilité» à la complexité…

Le fatalisme, là encore, n’est qu’une réponse faible. Sans doute le temps est-il venu, pour des institutions porteuses de ce que Kant naguère appelait une «bonne volonté», de se fédérer et travailler ensemble à préserver et transmettre ce plaisir de penser et d’élaborer ensemble sans quoi rien n’est possible.

Lorsque deux institutions, le Collège international de philosophie (CIPh) et la Maison des écrivains et de la littérature (Mel), créées dans les années 1980, en un temps où la culture jouissait d’un prestige incontesté, décident de travailler ensemble comme c’est le cas aujourd’hui, ce choix est porté par des raisons que nous voulons faire entendre ici. Ce rapprochement intervient à l’heure où la création et la transmission des savoirs, l’éclosion et la diffusion des enjeux et des débats intellectuels sont menacées et remplacées par la marchandisation croissante de produits culturels. Maison des écrivains et de la littérature, Collège international de philosophie font vivre quotidiennement la cause du service public culturel et intellectuel en offrant des espaces d’échanges, de rencontres et d’enseignement gratuits et ouverts sur la cité. Jamais ces institutions ne versent justement dans «le culturel». Au contraire, elles exercent la culture, la cultivent, l’instruisent, sans jamais en négocier l’inestimable valeur.

Chacune de ces institutions développe et défend, à sa manière, l’idée que la création, la réflexion, la liberté de pensée et d’expression qui y sont attachées, sont profondément, et sans doute plus que jamais, utiles à notre société. La dépense publique qu’elles représentent, selon des modèles économiques d’ailleurs distincts, est modique en comparaison du service rendu au public et à la citoyenneté.

Entre elles, les points de convergence sont nombreux, à commencer par le souci et la considération qu’elles ont d’œuvres littéraires, d’œuvres d’art et de la pensée qu’elles transmettent comme autant d’expériences critiques. La critique entendue au sens le plus noble du terme est la tâche qu’elles ont en commun et qu’elles mettent au service du commun. C’est en assistant aux rencontres, aux conférences qu’elles organisent que chaque citoyen est conduit à désirer en savoir plus. Non pas passivement, mais activement. Philosophie et littérature sont deux magnifiques sciences humaines qui, inlassablement, se «demandent» – pour reprendre un titre récent de Jean-Luc Nancy –, s’appellent l’une l’autre.

Les rendez-vous et événements que le CIPh et la Mel proposent jour après jour et depuis des années sont autant d’appels à une démocratie alternative. Pourquoi risquer de perdre cette possibilité donnée aux citoyens, inscrite au cœur de leurs missions, ce pouvoir de créer, de savoir, de penser ?

Pour cela, il leur faut des lieux, du soin, de l’attention, et le maintien de moyens publics et pérennes pour leur permettre de faire vivre une certaine idée de la démocratie à laquelle nous sommes nombreux à ne pas être prêts à renoncer. Elles travaillent donc aujourd’hui à des actions communes.

Isabelle Alfandary est professeur de littérature américaine, directrice de programme au Collège International de philosophie

Gisèle Berkman est membre du conseil d’administration de la Maison des écrivains et de la littérature

Sylvie Gouttebaron est directrice de la Maison des écrivains et de la littérature

Libération