— Par Victor Martine Lina, Psychologue, Psychanalyste, Docteur en psychologie —
La signification du mot violence pour décrire une situation, un phénomène, parait si évidente qu’elle est rarement définie par celui qui l’emploie.
Aussi l’emploie-t-on selon plusieurs acceptions sans que chacun n’appréhende toujours les nuances ou les différences de signification qui séparent des expressions utilisant le même signifiant violence.
Qui n’a entendu parler de violence urbaine, de violence d’un cyclone, de violence domestique, de violence des images, de violence faite aux femmes, de violence des jeunes, de violence policière, de violence sexuelle, de violence au travail, de violence verbale, etc. ?
Violence subie ou violence agie
On distingue avec plus ou moins de clarté, la violence subie et la violence agie.
Ainsi se place-t-on
- soit du côté sinistré, du côté patient, du lieu dévasté ou de la personne frappée. De cette place émerge la notion de victime.
- soit du côté de l’agent, du commissionnaire, de l’être ou du phénomène à qui on attribue la production de la violence. De cette autre place émerge la notion d’auteur.
Mais cette frontière n’est pas toujours aisée à établir notamment quand on vient à introduire l’idée d’une violence invisible face à une violence manifeste.
On peut entendre par violence invisible subie, une variété de situations agressives, le harcèlement sur le lieu de travail notamment selon des modalités les plus mesquines, la généralisation de l’évaluation, du traçage, de la mesure des performances ; l’imposition d’une normalisation par la certification de procédures, la banalisation de l’idéal du panoptique à travers la mise en place de la vidéo-surveillance dans différents compartiments dans l’espace public.
Mais cet invisible peut se prêter à l’analyse si on considère que des situations évoquées se dégage l’idée d’une violence générée par la réduction des libertés. Cette réduction des libertés n’est-elle pas orchestrée par ceux qui ont un pouvoir économique ou politique ?
La violence se présente aussi sous le masque des souffrances intimes individuelles ou collectives soutenues par un discours ou induites par son défaut. Ce sont notamment ces souffrances en référence l’inflation de la mémoire sensorielle d’expériences blessantes précocement vécues ou à une lecture victimaire de l’histoire…
On pourra se demander si l’agent d’une violence manifeste n’a pas été par ailleurs l’objet d’une violence qui est demeurée silencieuse ?
La violence du point de vue du sentiment de perte ou de dommage induit
On peut ainsi qualifier la violence en se plaçant du côté d’une appréciation sur les effets. C’est donc à partir de l’évaluation de la nature préjudiciable ou irréparable d’un geste, d’un agissement volontaire ou involontaire portant sur des objets ou des êtres vivants voire des êtres humains que l’on vient à utiliser ce terme. On parlera de la violence d’un choc même fortuit ou d’une catastrophe, d’un phénomène naturel ou d’un accident industriel. On pourra aussi s’exprimer sur la violence d’une explosion, d’un coup, d’une frappe.
La violence du point de vue du réel des conséquences
Un pas de plus peut être fait en considérant, indépendamment du ravage qui peut être vécu, les résultats d’un fait ou d’un phénomène.
On désigne, implicitement (car peu de chercheurs semblent en admettre la pertinence), par violence routière, les conséquences sous forme de dommage corporel ou de décès causés par le conducteur faisant usage d’une automobile et responsable d’un accident de la route et à qui il est, en même temps, reproché d’avoir commis volontairement ou involontairement une infraction (par non-respect du code de la route, défaut d’entretien du véhicule etc.)
La violence du point de vue de l’intention
Se distingue la violence définie à partir des intentions. Il s’agit du cas, où un auteur agit ou de celui où plusieurs auteurs agissent, dans un but, dans une intention destructrice délibérée
- De saccage, de vandalisme, de détérioration d’un objet, (équipement, bâtiment, véhicule), d’un lieu par un acte de pyromanie ou de sabotage.
- De causer du tort à un être humain (intimidation, humiliation, blessure, viol, homicide…)
La violence en envisageant la recherche de sa cause
Plus radicalement, on considère comme primordial de définir la violence à partir de ses causes les plus intimes et les plus insoupçonnables au lieu de ses déterminants immédiats. Quel est l’élément causal ou quel est le faisceau d’éléments déterminants à la source d’un phénomène de violence ?
Il s’agirait alors de s’interroger sur le contexte qui préfigure et induit la réalisation du phénomène. A qui imputer la responsabilité de la violence ? Au fabricant de l’arme, au commerçant qui en assure la vente ou seulement à son utilisateur ?
Où doit-on s’arrêter quand on remonte la chaîne des causalités ?
La loi autorise la fabrication d’un instrument dédié à tuer, elle autorise le commerce de cet instrument, mais elle proscrit le fait de donner la mort. Mais est-ce aussi simple ?
La violence en guise d’héritage ?
La violence peut se trouver inscrite dans l’antériorité d’une dette. Que doit la violence d’une guerre de décolonisation à la violence de l’entreprise coloniale initiée plusieurs siècles auparavant ?
Que doivent les violences actuelles à la cruauté génocidaire contemporaine des temps modernes. Que devons-nous tous à cette histoire ?
Mais cette orientation est rarement celle qui est privilégiée dans le discours courant par les instances politiques, les grandes organisations internationales ou parfois même les laboratoires de recherche toujours dépendants de financement.
Violence et acte
Ne faut-il pas distinguer la violence de l’acte ?
Émerge notamment la notion d’acte notamment quand il concerne un symbole et vient faire sens. Ainsi différents assauts portés sur un même ouvrage dans le but de le détruire, ont constitué un acte symbolique qui a été nommé par l’expression « la chute du mur de Berlin ».
Il est hors de doute que cette destruction délibérée du mur séparant l’Allemagne en deux consiste en un acte. Mais peut-on exclure qu’il s’agisse d’une manifestation de la violence ?
A l’inverse un visiteur qui par inadvertance ferait tomber et abimerait une statue parmi les plus précieuses d’un musée commettrait un acte irréparable par accident. Au sujet de cette dégradation, devra-t-on ou pas parler de violence ?
Violence, acte ou passage à l’acte ?
Récemment l’endommagement puis le décrochage revendiqué de monuments en Martinique a provoqué les réactions contrastées de plusieurs personnes et personnalités et a pour le mieux donné lieu à des débats.
Ces évènements pouvaient initialement être conçus comme des actes qui sont posés pour signifier un refus. Mais le caractère hétérogène des actions en rend difficile la lecture. De plus au refus sont venues s’ajouter des mises en demeure adressées à un maire. Un interlocuteur aurait-t-il été désigné ? Ou s’agit-il d’une fausse adresse ? Précisément si l’interlocuteur n’est pas reconnu comme tel mais seulement comme un support, parmi d’autres, propice à la projection de ressentiments multiples révélateurs d’un malaise.
Le débat, la confrontation d’idée va-t-elle être privilégiée ou va-t-on s’inscrire dans le mutisme assourdissant de la violence ?
Malgré cet exposé d’un éventail de points de vue, la définition de la violence demeure inépuisée.
Violence et lien social
Il nous semble opportun de domicilier l’enjeu de ce l’on tente de nommer par le terme de violence au regard du lien social dans le contexte de la Martinique.
Parmi les grandes figures de la littérature antillaise, Frantz Fanon demeure l’un des premiers théoriciens de la question de la violence dans une perspective d’émancipation anticolonialiste. L’analyse telle qu’il l’aborde dans les damnés de la terre permet de caractériser une situation de crise, de conflit, faisant référence tant à la violence silencieuse qu’à la violence manifeste. Elle oppose magistralement la figure du colonisé à celle du colon. Ses conclusions conduisent à une exhortation à la lutte révolutionnaire.
Le fond permanent de ce sentiment océanique trouve dans le conflit une réactualisation de sa quête de résolution. Que vient nommer aujourd’hui le terme violence dans un espace social en mal de discours ou ayant affaire avec le sentiment d’une faillite récurrente de la parole ?
Un trait de fonctionnement dans le social est repéré par Edouard Glissant qui le nomme « violence sans cause »1en faisant l’hypothèse d’une modalité de l’auto-punition.
Il importe donc de repérer ce à quoi se réfère celui ou celle qui parle de violence. De quelle acception de la violence cette personne prend-elle appui ?
LINA Victor Martine
Psychologue, Psychanalyste, Docteur en psychologie
1 Glissant E., Le discours Antillais, Paris : Gallimard, 1997, pp. 536-537