Pour éviter le pire…

Le soir du second tour des élections présidentielles la ville s’embrase, le pire est arrivé. David se retrouve à déambuler face aux émeutes et à sa vie ratée. Mina, elle, a préféré s’embarquer sur un cargo vers les Antilles pour ne pas assister à la débâcle. Deux êtres en proie à l’impuissance d’aimer qu’une nuit de cataclysme va profondément changer. Deux voyages intérieurs qui s’entremêlent en fiévreuses et subtiles sinuosités. Eric Pessan poursuit une œuvre singulière, souvent mélancolique, explorant les liens étroits entre la vie intime et le désarroi collectif, qui empêche parfois jusqu’à la possibilité de se réinventer. Eric Pessan anime des ateliers d’écriture et des rencontres littéraires. Auteur de pièces de théâtre, de fictions radiophoniques, de textes en collaboration avec des plasticiens, ses premiers romans sont parus à La Différence et au Seuil. Il a publié chez Albin Michel Incident de personne, Muette, Le démon avance toujours en ligne droite.
Eric Pessan
ISBN : 222632870X
Éditeur : Albin Michel (02/01/2017)

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Un roman qui croise les doigts pour éviter le pire

Que faire face à la victoire électorale du parti de la haine, tourner en rond ou s’embarquer pour ailleurs où un monde toujours semblable vous rejoint ?

Nous voici, par légère anticipation, au soir du second tour de l’élection pour la présidence de la République. Le résultat n’est pas explicitement exprimé mais on comprend, très vite, que le pire est advenu : le Front national l’a emporté ! Face à la politique autoritaire et sécuritaire depuis longtemps annoncée, Paris est gagné par la fièvre de la contestation : voitures incendiées, saccage des antennes de Pôle emploi, désordres et colères en tout genre suivent aussitôt l’onde de choc provoquée par l’annonce. La ville est littéralement en état de siège. Les électeurs du parti gagnant et ceux qui s’y opposent s’affrontent sur le pavé. Éric Pessan adopte deux points de vue. Il y a celui de David, employé soumis, solitaire, déçu par la politique. Il erre, déprimé, dans la ville meurtrie, n’osant pas rentrer chez lui pour constater, à la télévision, les images de ce qu’il redoute. Ce personnage permet au lecteur d’observer ce qui se passe au dehors. L’auteur passe ensuite à Mina, l’ancienne petite amie de David. Celle-ci, ne voulant ni voir ni savoir, en présage à l’issue néfaste du scrutin, a fait le choix d’un voyage en haute mer, à bord d’un porte-conteneurs, loin de tout, hors d’atteinte des réseaux sociaux. Éric Pessan, dans un mouvement de roulis incessant non loin de la nausée, passe de l’un à l’autre personnage avec, en basse continue, d’une part, le rythme déferlant des vagues et, d’autre part, la sidération suivie du désordre monstre consécutif à la catastrophe politique. Il semble qu’il mette plus de conviction du côté de Mina. Est-ce parce qu’il a lui-même vécu en mer, lorsqu’en 2012 il embarquait à Dunkerque pour aller à Pointe-à-Pitre ? « Fuir ! là-bas fuir ! » écrivait Baudelaire.
Une France aux abois, en pleine renonciation

Le périple effectué par la jeune femme est réussi et convaincant, dans la mesure où, se croyant à l’abri des affres du suffrage universel, elle se retrouve au cœur du système capitaliste, sur un bâtiment gigantesque qui transporte, vers les Antilles, les produits de la société de consommation mercantile avec un équipage composé de Roumains honteusement exploités et sous-payés. Le constat de l’auteur est plus qu’amer, d’une France aux abois, terriblement paumée, en pleine renonciation. Dans les dernières pages, Éric Pessan fait sienne la citation de Tristan Bernard : « Jusqu’à présent nous vivions dans l’angoisse, désormais nous vivrons dans l’espoir. »…

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