— Le n°279 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
L’humanité est aujourd’hui, placée devant le plus grand défi de sa longue histoire. Pour la première fois, sa survie ne dépend pas de ses capacités à étendre ses territoires, à augmenter sa production de biens matériels, à faire reculer son ignorance, à inventer des systèmes juridiques, à s’adapter aux catastrophes naturelles.
Nous avons un temps, cru au lumineux optimisme de Karl Marx, suivant lequel le développement illimité des forces productives, mis au service du bien commun par le renversement mondial du capitalisme, allait supprimer les causes publiques des malheurs humains, et nous garantir pour l’éternité le bonheur universel.
Aujourd’hui, nous savons que l’inéluctabilité « scientifique » de la victoire révolutionnaire est un dogme, faussement déduit des analyses de Marx. Mais nous avons aussi et surtout, plus récemment, pris conscience du télescopage entre les temps historiques concernant l’aventure humaine, avec les temps géologiques qui, à une toute autre échelle, ont commandé la formation des richesses du sol, du sous sol, des océans, et la régulation de l’atmosphère. Une vision poétique l’avait peut-être prophétisé : « Le temps du monde fini commence ».
Certes, le défi de retirer totalement la propriété et la gestion du monde des mains féroces et très visibles du Capital, source d’exploitation, d’oppression, d’inégalité, de guerres et de misère, demeure entier. Et cette exigence se présente dans des conditions compliquées par le champ de ruines idéologiques laissé par la déroute du principal projet alternatif au capitalisme, appelé par certains le « communisme réel ».
Le défi nouveau est de réaliser cette tâche plus que jamais indispensable, dans une période de dangers imminents pour le climat, la biodiversité, les écosystèmes, qui commandent la survie de notre espèce.
Notre premier besoin et donc notre vœu premier pour 2023, c’est la lucidité sur ces enjeux et les moyens d’y faire face. La partie n’est pas gagnée !
À voir la force des inepties mortifères du néolibéralisme, le poids des niaiseries nationalistes ici et là, les naïvetés aveugles face aux panoplies fascistes renaissantes, ou encore le charme doucereux des sirènes réformistes affrontant les problèmes sans remise en cause du système qui les nourrit, on mesure le travail à accomplir. La vanité des arrogances sectaires ne nous y aidera pas.
L’avancée dans la solution des problèmes, les nôtres et ceux du monde, ne passe pas par la lutte des États, des blocs, des nations, des « camps » géopolitiques, les uns contre les autres.
Ces réalités existent bien entendu avec force, mais leur prise en compte doit être subordonnée à la compréhension claire du conflit fondamental, à toutes les échelles, des classes qui structurent les sociétés. Les oppositions de blocs ne remplacent pas, mais surdéterminent la guerre de classes.
C’est en cela que le besoin de lucidité rejoint le besoin d’éthique. L’humanité piétinera si les classes exploitées et opprimées ne s’unissent pas par delà les frontières contre leurs ennemis de toutes nationalités. Le premier devoir éthique est d’être toujours du côté des classes et des minorités victimes. Fidel Castro a dit fort justement, qu’un peuple qui ne soutient pas les peuples en lutte, sera incapable de se libérer lui-même.
L’un des points du globe qui porte le plus grand besoin de solidarité, est la Palestine où le peuple est soumis à un odieux apartheid, alors que l’Autorité en qui il a jadis placé sa confiance, n’est plus qu’un instrument aux mains de l’occupant israélien. La Palestine, Haïti, les insurgé-e-s Iranien-ne-s et tant de peuples, en Afrique et ailleurs, ont besoin de solidarité internationaliste !
Ce n’est pas une raison, pour accepter le cynisme dont font preuve certains face au sort infligé par l’impérialisme grand russe, héritier direct du tsarisme, au peuple ukrainien, que l’on disait hier libéré de la prison des peuples par la révolution bolchevique de 1917, avant les cruautés staliniennes des années 30 et au-delà. Aucune raison non plus, de faire preuve de complaisance devant les bouches cousues sur les crimes de Ortega-Murillo au Nicaragua .
On le voit à ces deux exemples différents : l’exigence éthique dans la ligne du CHE ou de Fanon (qui recommandaient de porter son amour vers tous les peuples souffrant les affres de la domination), suppose aujourd’hui un certain courage, car les lignes sont obscurcies par une situation plus complexe que celle du « monde bipolaire » d’antan. D’où l’indispensable travail d’information et de réflexion pour accéder à la lucidité.
Il y en a, par exemple, qui continuent à parler de Chine « communiste ». C’est soit pour dénigrer le communisme, soit en sens opposé, pour ne pas avoir à s’interroger sur un régime de bureaucratie procapitaliste qui exerce sa férule sur le plus grand prolétariat du monde, qui place ses pions en Afrique, maltraite en interne ses Ouïgours, et se fait l’allié de la junte birmane coupable du génocide des Rohingyas.
À situation complexe, tâches complexes qu’il faut penser dans les particularités comme dans leur globalité ! Devant l’ampleur de ces tâches, les forces d’émancipation (nationale, sociale, environnementale, féministe, démocratique) ont, ici et ailleurs, besoin de s’allier entre elles, au lieu de s’accrocher à leurs bourgeoisies respectives.
Cela commande de remplacer l’invective et les sarcasmes entre progressistes, par le débat, pour trouver dans l’action de tous les jours les chemins du salut commun.
Philippe Pierre-Charles