—Par Roland Sabra —
Si le théâtre est l’art de prendre de la distance avec les choses il est aussi celui de les regarder en face, sans détours. La mort, et l’au-delà s’il existe, sont des thèmes rarement abordés de front. Jean-Noël Fenwick dans » Potins d’enfer », la pièce présentée par la Compagnie Courtes-Lignes, bien connue des martiniquais s’y colle avec humour. Deux hommes et une femme qui ne s’étaient jamais rencontrés se retrouvent dans une sorte de sas. Il y a parmi eux une journaliste de radio, un homme politique, un coiffeur homosexuel. Voilà ce qu’ils étaient en partie dans le monde des vivants, car la plus futée des trois va vite comprendre et expliquer à ses compagnons de voyage qu’ils sont morts et qu’ils sont en transit vers une destination qui pour l’heure leur est inconnue. Faire rire à propos d’un homme politique, d’une journaliste et d’un homosexuel est une facilité de l’air du temps. Facilité dans laquelle Fenwick plonge avec délectations en faisant du coiffeur un extraverti féminisé à outrance, une folle en un mot. On a bien compris que dans l’association coiffeur et homosexuel c’est le deuxième terme qui est mis en avant avec tous les clichés les plus éculés qui soient. De même l’homme politique ne pouvait être qu’un prévaricateur corrompu et la journaliste,une poule mouillée, pusillanime, vendue aux intérêts économiques et financiers qui président aux destinées de sa radio.
Ils sont donc là tous les trois à se demander ce qu’ils y font. Le coiffeur était, sur terre, un peu médium, il va initier les deux autres à cette technique pour entrer en contact avec le monde des vivants, essentiellement celui de leur entourage pour découvrir le pourquoi et le comment de leur arrivée dans le monde d’en-bas. La pièce de Fenwick va tourner autour ces découvertes. Une maladie, un accident et un assassinat vont être mis à jour. La thématique de la pièce qui voudrait dénoncer sur un mode comique l’appât du gain, la passion du pouvoir et les compromissions qu’ils supposent, n’est pas très originale et apparaît par moment quelque peu pesante.
La mise en scène est un copier-coller de celle de l’auteur avec la même scénographie, les mêmes poufs de la même couleur rouge utilisés lors de la création de la pièce par l’auteur en 1996 et sa reprise en 2011. Chose extravagante d’autres mises en scènes, ont repris ou se sont vues imposer (?) le même dispositif scénique. La comparaison n’en n’est que plus aisée et elle n’est pas forcément à l’avantage de Courtes-Lignes. C’est toute la différence entre amateurisme et professionnalisme qui éclabousse le plateau. Les passages soulignés par des éclairs lumineux ou le médium est pris par le discours de l’autre, paraissent un peu lourds, le rythme de la pièce s’enlise parfois, malgré la bonne volonté évidente des comédiens. Bien sûr comparaison n’est pas raison. Courtes-Lignes est une troupe méritante qui depuis 1993 régale chaque année un public conquis d’avance par un répertoire qui va de Georges Feydeau à Laurent Baffie en passant par Eric-Emmanuel Schmitt et Agatha Christie sans oublier Courteline ! Le choix de ce répertoire est guidé par la volonté, comme le déclare le fondateur, de ne retenir que des auteurs célèbres et accessibles au grand public. Pas d’avant-garde donc. Et le public ne s’y trompe pas. Courtes-Lignes est sans doute la seule troupe, résidant aux Antilles, capable de faire descendre de leurs mornes, de faire sortir de leurs habitations le peuple des békés. Les premières martiniquaises des spectacles proposés sont assez étonnantes. Elles sont composées à 90% de blancs, qui visiblement se protègent du soleil. Ceux qu’on ne voit jamais au théâtre, exceptés à ces moments précis, sûrs qu’ils sont de se retrouver dans le monde de l’entre-soi, ceux qui ne viennent jamais aux concerts, sauf s’il s’agit de musique classique, et encore, ceux que l’on croise quelques rares fois à l’Atrium pour un opéra ou une opérette, sans trop bien faire la différence, et bien ce peuple là, amateur de théâtre de boulevard, de bonne grosse farce, sans prise de tête, Courte-Lignes est capable de le mobiliser. Tous ne s’appellent pas Bernard Hayot, tous n’ont pas créés une Fondation Clément, loin s’en faut, mais bon comme ils le laissent entendre : «Il en faut bien pour tous les goûts!». Ce en quoi ils ont, d’une certaine manière et dit d’une autre façon, raison car le théâtre, qu’on le veuille ou non, c’est aussi çà!
Une autre mise-en- scène
et encore une autre ( celle de l’auteur, Jean-Noël Fenwick)
DISTRIBUTION
Coralie FERRERO ……………………………………………….. .Anne-Marie CLERC
Gonzague MEROGNEAU …………………………………………. David COUCHET
Christian MONGINET ……………………………………………….Claude-Georges GRIMONPREZ
Mise en scène ……………………………………………………….Claude-Georges GRIMONPREZ
Régie …………………………………………………………………..Hervé LAURENT
THÉÂTRE AIMÉ CÉSAIRE DE FORT-DE-FRANCE
Le 14, 15 et 16 mai 2014 à 19h30
17 mai 2014 à 15h30 et 20h0