— Par Georges Zaméo —
Aussi complexe soit-il, le problème martiniquais n’est pas insurmontable. Pour autant, il présente des points de blocage à caractère psychosociologique que nous ne devons pas passer sous silence, sinon les projets les mieux peaufinés ne donneront pas les résultats escomptés. Georges Zaméo Nous souhaitons que nous construisions notre futur en contrôlant aujourd’hui l’orientation de notre société. Nous savons tous que nous ne voulons plus d’une société construite sur des rapports de domination et sur le racisme, quel que soit son déguisement. Raphaël Constant et Victor Permal
D ire que plus rien ne sera comme avant peut signifier que c’était mieux avant, que, avant, c’était quand même acceptable. Mais, dans le même temps, cela peut aussi vouloir dire que la situation n’est plus vivable et doit faire l’objet de changements. C’est cette deuxième acceptation qui commande ma démarche. « Seul, disait Nietzsche, seul ce qui fait mal, très mal, saisit l’homme tout entier et accélère le processus d’irruption de l’esprit en lui. » J’ai cité à dessein cette pensée de Nietzsche qui, selon moi, traduit on ne peut mieux ce que nous vivons en ce moment dans la cité. Nous sommes témoins du fait que la Martinique souffre d’une situation douloureuse qui touche la quasi-totalité du peuple que nous sommes.
Et ce qui importe par-dessus tout, c’est la manière dont l’esprit fera son irruption en tout un chacun et, par ce biais, les dispositions que nous serons en droit (je dis bien en droit) de prendre, eu égard à l’étendue et à l’importance du problème qui affecte le pays dans ses entrailles –n’ayons pas peur des mots– et qui fait plutôt mal, à moins de fermer les yeux.
Dans cet ordre d’idées apparaît cette ambivalence : autant ce problème de la cherté de la vie s’est accompagné d’actes de déprédation, d’événements et d’agissements que l’on ne peut que déplorer, autant ils nous donnent aussi l’occasion de nous remettre en question (je ne crois pas exagérer), d’une part, et, d’autre part, de porter un autre regard et de produire une nouvelle réflexion sur le système social martiniquais, qui en a un grand besoin.
Le fond existentiel martiniquais
Les choses ne sauraient demeurer en l’état. Sommes-nous disposés à faire cette démarche ? Telle est la question. En ce qui me concerne, avant même de me lancer dans des propositions –parce qu’il en faut–, je me suis proposé, dans un premier temps, de faire une analyse du fait social martiniquais, c’est-à-dire du comment de tout ce qui participe au mode de fonctionnement de ce pays en général.
Appelons cela un mode opératoire qui a à voir avec le fond existentiel de la Martinique. Parler ainsi n’est pas une affaire d’intellectuel. Le fond existentiel martiniquais désigne tout simplement la substance même des rapports sociaux qui ont produit et continuent de produire ce pays à travers l’histoire. Pour faire bref, je ne ferai, pour l’instant, que mettre l’accent sur certains points, toujours en passant par là. Rendons-nous à l’évidence : le mode opératoire qui a produit ce pays, donc le système social dans lequel nous nous débattons – convenons-en– a fait son temps. Il se révèle inefficace, il n’est plus opérationnel, à tel point qu’il ne parvient que difficilement à incorporer des mesures qui se veulent novatrices. Je tiens à préciser que je m’exprime en tenant compte du présent, mais aussi en termes de prospective et en référence à la science administrative –parce qu’il en existe une dont on ne fait pas cas (je ne rentre pas dans le détail).
Pour précision, ce mode opératoire n’est ni le fruit du hasard, ni le produit d’un grand manitou ou d’un quelconque grand esprit. C’est un produit de l’histoire, donc un choix, une volonté. C’est en quelque sorte un fait de l’homme, et l’on peut dire qu’il est issu d’un rapport de force. Par conséquent, il n’est pas immuable et il peut être possible de le changer. Le besoin s’en fait sentir, parce que ce mode opératoire est devenu impuissant à régler nombre de problèmes qui minent la santé sociale du pays, au sens large, et entretiennent ce climat de mal-administration qui se fait sentir. Dès lors, les problèmes de la cité ne peuvent plus se satisfaire de solutions de circonstances (suivez mon regard) et doivent être pensés et réglés de manière globale, la totalité du champ social martiniquais étant concerné. D’ailleurs, le problème de la cherté de la vie se présente comme tel, puisqu’il interroge la politique du pays, notre mode d’administration et, par-dessus tout, notre manière de faire l’économie, qui n’est plus de mise (je ne développe pas, ce serait trop long).
Points de blocage
Alors, je me pose cette question : comment allons-nous nous en sortir ? Aussi complexe soit-il, le problème martiniquais n’est pas insurmontable. Pour autant, il présente des points de blocage à caractère psychosociologique que nous ne devons pas passer sous silence, sinon les plans, les protocoles et projets les mieux peaufinés ne donneront pas les résultats escomptés. Certes, je présente là un aspect rugueux du réel martiniquais, mais ne comptez pas sur moi pour faire les choses an ba fey, a la i bon kon sa ; autrement, ce ne serait pas rendre service au pays.
Autre question qui fait pendant à la précédente : existe-t-il une voie royale pour sortir de l’impasse ?
Je ne suis pas sûr qu’il en existe une. Nous touchons ici à la chose politique, qui est l’art du possible. Ne perdons pas cela de vue.
Quoi qu’il en soit, ces deux questions ne sauraient demeurer en suspens, car elles ont un fond existentiel en relation avec le devenir de notre pays. Il va sans dire qu’elles ne trouveront pas réponse seulement au niveau local, mais aussi dans le cadre d’échanges avec l’État, qui ne doit pas être rejeté, et à qui pourra être proposé un contrat social spécifique –nouvelle formule, pourquoi pas ? Nécessité fait loi. Cette démarche, qui ne dissimule aucun relent sécessionniste, devra porter en priorité sur le mode opératoire, mais pas que cela.
En effet, autant le renouveau social martiniquais doit passer par des changements à caractère structurel, autant il devra compter avec cet élément qui fait poids et ne doit pas être négligé.
Je veux parler de notre capacité à faire solidarité, à comprendre que le devenir du pays est l’affaire de tous, quelle que soit notre aire de responsabilité et notre rang social. Je préconise –sans me présenter en donneur de leçons– la mise en commun des intelligences et le faire peuple autrement que nous l’avons fait jusqu’ici.
Manière de se sentir concerné, de faire lien et, pourquoi pas, de s’impliquer tout simplement.
N’est-ce pas un trait de notre relation qu’il faut considérer si nous sommes disposés à fabriquer un demain habitable ?
Le 13 mars 2025