— Par Sandy Olivar Calvo, étudiante et activiste climat à Alternatiba —
Les briseurs de rêves, ce sont eux.
Rien ne me prédestinait à écrire cette tribune. Rien ne me prédestinait à lutter, politiquement, dans des mouvements citoyens, pour exiger la justice climatique. Vraiment, rien.
Issue d’une famille ouvrière, avec une mère femme de ménage et un père ouvrier depuis ses 14 ans, j’ai assimilé, dès mon plus jeune âge, que les études, et toute l’émancipation qu’elles peuvent permettre, n’étaient pas faites pour moi.
Dans mes plus lointains souvenirs, je me souviens avoir vécu ces oppressions de classe, dans mon parcours scolaire, avec cette volonté de me remettre à ma place, ou plutôt de m’empêcher de prendre plus de place. On me rappelait constamment à l’ordre, on me disait que je devais m’orienter vers des filières professionnelles, pour rentrer plus rapidement sur le marché du travail (avec un abject dédain pour ces parcours). Comme beaucoup trop d’adolescent·es, j’ai lutté pour atteindre les études supérieures. Comme bien trop d’étudiant·es, j’ai galéré pour payer mes études supérieures. Comme beaucoup trop de jeunes, j’ai raté certains de mes partiels à cause de la fatigue physique et mentale qu’engendrent les boulots d’étudiants. J’ai versé des larmes en voyant mon père sortir dans le froid tous les matins. En voyant ma mère s’épuiser le corps pour qu’on ne manque de rien. J’ai versé des larmes en voyant la faune de mon village s’effondrer, les usines fermer, les employés s’endetter et suffoquer.
Les briseurs de rêves, ce sont eux. Ces décideurs politiques et ces dirigeants qui, depuis des décennies, privilégient les intérêts privés à l’intérêt général. Ils ont brisé les miens, me faisant croire que je n’étais pas à la hauteur pour interagir avec la classe supérieure. En me faisant comprendre que je n’aurai pas les capacités intellectuelles pour participer aux débats qui animent la société. Que ma voix et mes idées n’avaient pas de valeur. Ils ont brisé notre avenir en brûlant et en matraquant le Vivant et nos libertés. Tous les jours, ils brisent et brûlent des millions de rêves en bâillonnant nos libertés et en nous menant vers un monde à +2° de réchauffement climatique avec des conditions de vie insoutenables sur Terre.
De nouveaux rêves
Rien ne me prédestinait non plus à aller bloquer des entreprises de multinationales ou à aller décrocher des portraits d’Emmanuel Macron pour dénoncer sa criminelle inaction climatique. Vraiment, rien.
Ils ont brisé mes rêves mais ils ont fait naître en moi, en nous, une colère et une détermination indélébile. Une détermination et une ténacité à changer les règles du jeu politique. Et comme je n’attends plus que les décisions viennent d’en haut, j’ai décidé de passer à l’action pour construire concrètement la transition écologique et sociale nécessaire et inéluctable.
Aujourd’hui, je marche, je désobéis, je m’organise pour faire face à ce système. Je bloque des multinationales à chaque financement polluant et climaticide, je désobéis face aux décideurs qui favorisent les intérêts privés plutôt que l’intérêt général, je construis, avec d’autres, un mouvement social populaire et écologique. Ce sont ces modèles d’actions non violentes, puissantes et collectives, qui procurent de la joie et de l’espoir, qui ont fait rejaillir mes rêves de leurs cendres. De nouveaux rêves bien enracinés, très réalistes et pragmatiques, prêts à semer les graines de cette société qui ne laissera personne de côté. Une nouvelle société, métamorphosée, qui respectera et favorisera la pluralité et l’épanouissement des Vivants. Aujourd’hui, je ne laisserai plus jamais ce système m’oppresser. J’affirme cette puissance, en moi, qu’ils ont voulu chasser et écraser.
Aujourd’hui, je m’émancipe, je désobéis, je lève le poing haut et fort contre ce système. Je lève le poing haut et fort pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Je désobéis pour transformer notre société et construire des modes de vie plus solidaires et soutenables.
Pour le Vivant, pour les Vivants, on désobéit. On refuse. On sème. On construit.
Tribune publiée initialement dans Libération