—Par Michel Branchi, économiste —
Résumé de l’intervention de Michel Branchi au 23ème rencontres gérontologiques de l’Amdor 2000 des 3 et 4 octobre 2013 (Hôtet Bâtelière)
L’Association Martiniquaise pour la Promotion de l’âge d’or(AMDOR 2000) a organisé les 3 et 4 octobre 2013 ses 23èmes Rencontres gérontologiques sur le thème particulièrement judicieux « Personnes âgées et Nouvelles pauvretés-Nouveaux défis ». Michel Branchi, économiste et ex-Commissaire de la Concurrence et de la Consommation, a fait une communication ayant pour objet : « Eléments sur le pouvoir d’achat des retraités des DOM-Le cas de la Martinique ». Nous en publions ci-après un résumé.
Eléments sur le pouvoir d’achat des retraités dans les DOM- Le cas de la Martinique : Plus de la moitié au moins des retraités des DOM en-dessous du seuil de pauvreté !
La loi sur les retraites de 1945 s’est appliquée avec retard dans les DOM et n’a atteint son régime de croisière qu’à partir des années 1960, estime-t-on notamment à l’Institut national des études démographiques (INED).
Le chômage, la pauvreté et la précarité sont élevés dans ces pays et d’un niveau beaucoup plus important qu’en France. Nombre de retraités ont du mal à reconstituer des carrières complètes, plus particulièrement les femmes.
La proportion de retraités au minimum vieillesse est 7 fois plus importante en Martinique qu’en France (27 % contre 4 à 5 %)
Bien que les données sur les revenus des retraités soient peu abondantes car non communiquées par les organismes officiels tels la Caisse générale de Sécurité sociale de la Martinique ou l’IRCOM, on sait qu’une part significative et croissante de la population martiniquaise âgée ne dispose que de revenus modestes : un sur cinq de 60 à 74 ans au minimum vieillesse et une femme sur deux de plus de 75 ans. Nous présentons donc ici que des données partielles, mais n’infirment pas ce jugement.
[Selon la représentante de la Caisse générale de Sécurité sociale de la Martinique aux 23ème Rencontres gérontologiques de l’AMDOR, la situation serait la suivante en 2012 :
« -55 400 retraités du Régime général ont perçu une pension de la CGSS ( 428 millions € versés) , soit un montant moyen de 769€
– 4 124 retraités du Régime agricole ( 18 454€ versés ) soit un montant moyen de 447€ .
De petites pensions, sans retraites complémentaires pour beaucoup d’entre vous, notamment les employées de maison ou les ouvriers agricoles ».]
Donc le montant moyen des retraites du régime général est inférieur au seuil de pauvreté en France (977 € en 20011).
Nous estimons, sur cette base, le nombre total de retraités en 2012 (incluant la Fonction publique) aux alentours de 75 000.
En outre, le niveau des dépenses des retraités martiniquais est le plus faible de toutes les catégories socio- professionnelles (34 % en dessous de moyenne) : La consommation annuelle des retraités est de 16 764 euros (1 400 euros par mois), proche de celle des chômeurs soit 17 000 euros (1 417 euros par mois) alors que le ménage martiniquais moyen dépense annuellement 25 700 euros (2150 euros par mois). Et les inégalités se sont accrues durant la dernière décennie (enquête budget des familles-Insee de 2006/ dossier INSEE-CAF-mai 2009).
Or le coût de la vie est en moyenne officiellement de 17 % plus élevé qu’en France et de 45 % supérieur pour les produits alimentaires (enquête INSEE-2010). Cela pénalise fortement le budget des retraités qui consacrent la plus grande part de leurs dépenses à l’alimentation (22,4 % contre 16,6 % en moyenne des ménages martiniquais-Enquête budget des familles INSEE de 2006).
Pour les 20 % des ménages les plus modestes, dont nécessairement une large part des retraités, les dépenses pré-engagées (contraintes) représentent 84 % de leur revenu disponible brut en 2006. Elles ne représentaient que 61 % en 2001.
Les révisions du montant des retraites, généralement indexées sur le niveau et l’évolution de l’inflation en France, sont souvent défavorables aux retraités martiniquais puisque la hausse des prix a souvent été supérieure en Martinique : écart différentiel moyen d’inflation de + 3 % entre janvier 1999 et Juin 2013 par exemple et de + 9,6 % pour les produits alimentaires.
Aussi le nombre de retraités en-dessous du seuil de pauvreté a augmenté sur la décennie 2000. Et, selon l’enquête INSEE/INED de 2012 déjà citée, 35 % des séniors ressentent un vécu de pauvreté’ »ne pas pouvoir s’en sortir sans faire de dette » ou y arriver difficilement ») contre 12 % en France (enquête INSEE/INED « migrations, famille, vieillissement » d’octobre 2012).
Les femmes, souvent seules, sont encore plus pénalisées à la retraite.
Dans ces conditions, le niveau de vie des retraités est certainement en dégradation autant et plus que pour les autres catégories sociales sur la décennie 2000, comme l’indique l’Insee dans une brochure d’Août 2011.
Enfin un éclairage dramatique vient d’être donné par des statistiques peu connues sur les foyers fiscaux des DOM.
Selon des données récentes de la Direction générale des impôts (www.impots.gouv) communiquées par l’INSEE-Martinique, plus de la moitié (53 %) des 62 574 foyers fiscaux de retraités martiniquais, soit 33 164, vivent en 2010 avec un revenu moyen annuel de 6 651 €, soit 551,75 € par mois, alors que 5 % d’entre eux émargent à un revenu annuel de 36 679 €, soit 8 056,5 € par mois. Rappelons que le seuil de pauvreté en Martinique était évalué en 2006 à 616,66 € par mois. En France, le seuil de pauvreté monétaire est évalué à 977 € par mois en 2011. Les revenus fiscaux des retraités martiniquais représentent 19/20 % des revenus fiscaux totaux.
Donc plus de la moitié au mois des retraités en Martinique, en dépit des progrès réalisés, vivent en moyenne en dessous du seuil de pauvreté.
A titre de comparaison, ci-après les mêmes données pour les autres Dom et la France :
Tableau comparatif de la part des foyers de tranche de revenus la plus faible dans le total des foyers de retraités en 2010 et du montant de revenu fiscal moyen de retraités des DOM et en France | |||||
France | Guadeloupe | Guyane | Martinique | Réunion | |
Nombre total de foyers fiscaux retraités | 12,426 millions | 58 691 | 7 300 | 62 574 | 83 087 |
Nombre de foyers 1ère tranche de 0 et 10 000€ | 3 075 400 | 32 698 | 4 277 | 33 436 | 47 422 |
Part 1ère tranche du total | 24,7 % | 56,7 % | 58,58 % | 53 % | 56,46 % |
Montant revenu annuel global en Millions € | 26,2 milliards € | 251,1 M€ | 22,5 M€ | 221,4 M€ | 293, 046 M€ |
Montant annuel moyen par foyer fiscal | 8 519,7 € | 7 679,36 € | 5 260,69 € | 6 621 | 6 179,53 € |
Montant moyen par foyer fiscal par mois | 709,93 € | 639,94 | 438,39 € | 551,75 € | 514,96 € |
Dans tous les Dom, par conséquent, plus de la moitié des retraités vivent avec moins de 639,94 € par mois (chiffre de la Guadeloupe), c’est-à-dire en dessous du seuil de pauvreté !
Le minimum vieillesse (Allocation de solidarité aux personnes âgées- ASPA) est de 777,17 € pour une personne seule au 1er/04/2012 et de 787,26 € au 1er avril 2013, soit une revalorisation de + 1,01 %. Alors que l’inflation navigue autour de 1,5 %/2° l’an en Martinique depuis début 2012.d’où nouvelle perte de pouvoir d’achat.
Par ailleurs, suite à la saignée des années Bumidom, un dangereux processus de vieillissement accéléré s’est enclenché. La part des plus de 60 ans va plus que doubler en 2030. La population dépendante, majoritairement féminine va également doubler. Cela risque de modifier profondément les solidarités inter- générationnelles alors qu’aujourd’hui ce sont les personnes âgées de plus de 60 ans qui apportent plus d’aide à leur famille, notamment financières, qu’elles en reçoivent. Cependant et a contrario, cela va en même temps engendrer des besoins nouveaux et accrus en services divers susceptibles de générer des emplois spécifiques.
Avec les réformes Balladur, Fillon et Woerth allongeant la durée de cotisation, on constate déjà une baisse du taux de remplacement (rapport entre la retraite et le dernier salaire) des retraites et une augmentation du taux de chômage des plus de 50 ans en Martinique et ailleurs.
Cependant, l’impact de ces réformes est plus négatif qu’en France vu le contexte économique et social particulièrement dégradé. Il n’en a pas été tenu compte. Cette situation est le reflet du sous et mal-déeveloppement spécifique qui caractérise la Martinique et les autres pays dits DOM.
Le projet de réforme actuellement en cours d’adoption risque d’accentuer ce phénomène (allongement de la durée de cotisation à 43 ans à l’horizon 2035) du fait de la diminution du taux de remplacement des pensions qui en résultera.
Il est à craindre que le niveau de consommation des retraités (1/5ème de la consommation totale des ménages) puisse régresser.
Cela peut constituer un frein à la croissance économique du pays dans l’avenir.
En conclusion, Il, est clair que des mesures spécifiques en direction des retraités des DOM doivent être mises en œuvre. Elles ne peuvent que faire appel à une nouvelle répartition des richesses. Là réside le choix de société.
Plus largement, il convient de concevoir une politique globale spécifique en direction des personnes âgées de la Martinique et des pays dénommés DOM présentant des caractéristiques économiques et sociales proches. Elle ne peut que s’intégrer dans un nouveau modèle de Développement à inventer.
Michel Branchi, Économiste
F-D-F, le 4/10/2013