— Gracienne LAURENCE —
Trop longtemps silencieuses !
Bonnes filles, obéissantes, patientes à l’infini, les sages-femmes ont jusqu’à ce jour accepté avec une satisfaction contrainte un strapontin dans la hiérarchie médicale, bien évidemment loin derrière les médecins, les dentistes et les pharmaciens. Ont-elles jamais été admises dans ce monde élitiste (moins actuellement, démocratie oblige) fait de corporations jalouses de leur statut et de leur pouvoir ? Rien n’est moins sûr !
Pendant longtemps, cette profession dont l’origine se confond avec la nuit des temps a été pratiquée essentiellement par des femmes, appelées ventrières. En ces temps là, les filles n’allaient guère à l’école. Certes elles n’étaient pas alphabétisées, mais elles n’étaient pas pour autant dénuées d’intelligence. C’est pourquoi le temps passant, elles vont concevoir un art de l’accouchement qui se transmettra oralement de mère en fille, de génération en génération et ceci pendant des temps immémoriaux.
Mais au cours du XVIII siècle deux femmes vont émerger. Il s’agit d’abord de Mme Angélique Marguerite Le Boursier Du Coudray, maitresse- sage-femme qui va former à travers toute la France pendant 25 ans des sages-femmes mais également des chirurgiens et des médecins à la pratique des accouchements, à l’aide d’un mannequin représentant le tronc d’une femme grandeur nature conçu par ses soins. Elle publiera à la même époque « l’Abrégé de l’Art des Accouchements » qui sera utilisé par tous les futurs médecins accoucheurs. Ensuite, quelques années plus tard, Mme Marie-Louise de Lachapelle petite-fille et fille de sage-femme, Professeure d’accouchement produira un manuel d’observation clinique de haute valeur pédagogique, intitulé « Pratique des Accouchements ». Ces deux sages-femmes, par la qualité scientifique de leurs travaux vont jeter les bases de l’obstétrique moderne. Elles vont susciter beaucoup de convoitise de la part notamment des chirurgiens et des médecins qui brusquement seront pris de passion pour les accouchements. Ils feront tout pour déposséder les sages-femmes de leur art. L’époque s’y prête. Les femmes n’ont pas voix aux chapitres. Le patriarcat est dominant .Désormais par décision des gouvernants les connaissances des futures sages-femmes devront être validées par deux chirurgiens, ceux-là mêmes qu’elles avaient initié. Et voilà comment au siècle des Lumières les médecins ont usurpé le travail des sages-femmes, les reléguant au rôle d’assistante.
Aujourd’hui pour entrer dans ce temple qu’est la médecine, comme tous les candidats, les futures sages-femmes ont en mains un bac scientifique. Elles se retrouvent sur les bancs des mêmes facultés de médecine que les futurs médecins, dentistes et pharmaciens. Depuis 2010 la première année est commune à ces quatre professions. Les sages-femmes seront diplômées après cinq années d’études tout comme les dentistes. Donc légitimement elles font partie pleinement du monde médical. Ce que certains tentent de leur refuser avec une volonté farouche de les laisser sur le seuil de la porte du temple.
Ceux qui jusqu’à ce jour décident pour elles, (les grands pontes de l’obstétrique), délimitent le périmètre de leurs compétences tout en assurant en priorité les intérêts et le confort de leurs confrères n’ont peut-être pas remarqué que depuis belle lurette les femmes se sont émancipées. Le patriarcat a perdu ses lettres de noblesse. Donc les sages-femmes sont tout à fait aptes à décider par elles mêmes. Elles n’ont besoin d’aucun père fusse-t-il le plus éminent professeur du monde. Elles sont formées pour pratiquer leur art en conscience et en responsabilité comme elles l’ont toujours fait.
Donc le temps est venu Madame la Ministre de légiférer pour consacrer le caractère pleinement médical de la profession de sage-femme afin que s’établissent entre elles et tous ceux qui gravitent autour de la naissance (accoucheurs, anesthésistes, pédiatres) des rapports plus confraternels.
Le temps est venu Madame la Ministre de réparer plus de deux siècles d’injustice vis-à-vis des sages-femmes par une simple loi.
Le temps est venu Madame la Ministre de mettre fin à la confusion dont les sages-femmes sont victimes dans la gestion des ressources humaines par les hôpitaux.
Le temps est venu Madame la Ministre de clarifier la place des sages-femmes dans l’organigramme médical afin qu’elles sortent de l’imbroglio juridique actuel, véritable casse-tête pour les juristes, et qui les place toujours en première ligne quand survient l’accident.
Et Madame la Ministre si vous avez encore du mal à appréhender le malaise, les frustrations et la justesse des revendications des sages-femmes, permettez- moi de vous conseiller vivement la lecture de l’ouvrage de l’historien Jacques Gélis : « La sage-femme ou le médecin ». Mais il n’y a pas de choix à faire. Chacun a sa place selon ses compétences auprès des femmes, des couples et des enfants pour une naissance heureuse et sécurisée.
Gracienne LAURENCE
Sage-femme retraitée
Ancienne Conseillère Régionale 2004-2010