— Par Jean Samblé —
Pierre Salama, économiste marxiste émérite et fervent défenseur de l’altermondialisme, est décédé à Paris le 9 août, à l’âge de 82 ans, des suites d’un cancer. Né à Alexandrie, en Égypte, le 11 août 1942, il fut marqué dès sa jeunesse par un militantisme engagé contre les guerres d’Algérie et du Vietnam, adhérant successivement au communisme puis au trotskisme au sein de la Ligue communiste révolutionnaire. Son parcours académique et militant l’a conduit à devenir un acteur majeur dans l’étude des économies émergentes, particulièrement en Amérique latine, où il a consacré l’essentiel de sa carrière.
Salama est connu pour avoir insufflé une nouvelle dynamique dans la pensée économique en France, où les études étaient alors dominées par l’orthodoxie autrichienne. Il a défriché des territoires intellectuels inexplorés, combinant une rigueur scientifique exemplaire avec un engagement politique inébranlable. Sa thèse de doctorat, intitulée *Essai sur les limites de l’accumulation nationale du capital dans les économies semi-industrialisées*, marque le début d’un dialogue intellectuel fructueux avec les universitaires et responsables politiques d’Amérique latine. Traduit en plusieurs langues, cet ouvrage lui vaut une reconnaissance internationale, ouvrant la voie à une carrière prolifique.
Professeur émérite à l’université Sorbonne Paris Nord et directeur scientifique de la revue *Tiers Monde*, Salama a également cofondé la revue *Critiques de l’économie politique*, où il a collaboré avec des figures comme Jacques Valier et Jean-Luc Dallemagne. Il y a exploré les dynamiques du capitalisme mondial, notamment les phénomènes de dollarisation de l’économie et les inégalités croissantes, en se concentrant particulièrement sur les pays d’Amérique du Sud. Ses analyses comparatives entre l’Amérique latine et l’Asie ont permis de mettre en lumière le rôle crucial de l’État et des politiques publiques dans le développement économique et la gestion des inégalités.
Salama ne s’est jamais contenté d’une approche théorique. Voyageur infatigable, il a parcouru les pays d’Amérique latine pour y observer de près les réalités économiques et sociales, nourrissant ainsi ses recherches d’une richesse empirique rare. Polyglotte, il a entretenu un dialogue constant avec des intellectuels du monde entier, notamment en Amérique latine, où il était respecté non seulement pour ses analyses économiques, mais aussi pour son humanisme et son engagement envers les causes sociales.
Sa pensée est marquée par une critique acerbe du néolibéralisme et de ses effets dévastateurs sur les économies émergentes. Face à la montée de l’extrême droite en Amérique latine et ailleurs, il exprimait un pessimisme lucide, prédisant notamment l’effondrement économique du gouvernement péroniste en Argentine et l’ascension de figures populistes comme Jair Bolsonaro au Brésil. Jusqu’à la fin de sa vie, il a continué à observer et analyser les défis contemporains, comme en témoigne son dernier ouvrage sur la pandémie de Covid-19 et ses impacts en Amérique latine.
Pierre Salama laisse derrière lui une œuvre considérable, traduite en plusieurs langues, qui continuera d’inspirer les générations futures. Homme de cœur, passionné de littérature et de dessin, il reste pour ses proches et ses collègues un modèle de rigueur intellectuelle et de dévouement. Son héritage est celui d’un intellectuel engagé, dont les travaux sur les inégalités, la mondialisation et le rôle de l’État dans les économies émergentes demeurent d’une actualité brûlante.