— Par Selim Lander —
Une petite salle (en l’occurrence le théâtre des Ateliers à Aix-en-Provence) et un comédien seul sur la scène dans un décor simplifié à l’extrême : cette définition minimaliste du théâtre n’est pas la moins séduisante. C’est celle, en tout cas, qui permet le contact le plus étroit, le plus intime avec le comédien, parce qu’il est physiquement proche, parce qu’il est en permanence présent, parce qu’il concentre nécessairement l’attention. En contrepartie, cela exige de lui de la « présence » et une attention constante.
Le texte importe aussi, évidemment. Il le faut assez « fort » pour que, quel que soit le talent du comédien, l’attention, des spectateurs cette fois, se maintienne jusqu’au bout. À cet égard, il n’est pas absolument certain que le roman de Robert Pinget nous parle aujourd’hui autant que lors de sa publication, en 1958, une époque où l’absurde faisait davantage recette en littérature. Pinget est rangé dans l’école du Nouveau Roman, laquelle se caractérise davantage par l’intérêt porté aux faits psychologiques les plus minuscules que par le souci de bâtir une intrigue. Tel est le cas de Baga, portrait à la première personne d’un personnage en proie à la déréliction. Souverain d’un improbable royaume, il se raconte avec une complaisance qui peut finir par agacer, cultivant comme à plaisir les hésitations et les repentirs.
Il n’en demeure pas moins que Baga est un grand texte dans son genre et qu’il mérite d’être entendu par tous les amoureux de la littérature. Entendu plutôt que lu, sans doute, car le passage à la scène, en accentuant la cocasserie, le rend nettement plus digeste. Il faut donc saluer l’initiative de Pierre Béziers qui a adapté le roman et l’interprète lui-même avec toute la pesanteur et toute la fantaisie qui conviennent. Notre roi, en effet, quoique vieux et fatigué, possède ce grain de folie qui l’empêche de désespérer tout-à-fait. Lucide sur lui-même, conscient de son incapacité à gouverner (son ministre Baga s’en charge à sa place), il est en même temps suffisamment égaré pour se contenter d’une existence paresseuse. Il a néanmoins des lettres, des velléités d’écriture, quelques zestes d’humour, et nous l’entendons dans sa tentative de mettre un peu d’ordre dans ses idées, car il a entrepris de rédiger l’histoire de sa vie.
Pierre Béziers est remarquable de bout en bout. Il a l’expérience et la solidité qui conviennent pour porter sur ses épaules un personnage plus complexe qu’il n’y paraît à première vue. Vêtu d’un ample manteau chamarré, chaussé des « pantoufles de cygne » mentionnées dans le texte, dûment couronné, il siège sur un moderne fauteuil de bureau « relooké » en trône. Derrière lui, un rideau rouge lui permet de disparaître et de réapparaître, quelque peu transformé s’il le faut, comme lorsqu’il part à la guerre sur son fauteuil converti en « taxi » (sic) royal, tandis que le manteau, retourné, est devenu tenue de camouflage. Son jeu avec le calepin sur lequel il consigne de temps à autre quelques notes est particulièrement réussi. Sa diction lente et hésitante fait également mouche.
On ne voit absolument rien à redire à cette interprétation (dont le mérite revient en partie à la M.E.S. de sa fille Jeanne Béziers). Pour la performance d’acteur – et aussi pour Pinget qu’il serait dommage d’oublier tout-à-fait – on ne peut que souhaiter une belle tournée à ce spectacle déjà présenté en Avignon pendant le dernier festival.
Théâtre des Ateliers, Aix-en-Provence, du 20 au 23 octobre 2017.