— Par Roland Sabra —
Zaï mouillé.Elle lavait son linge et le voilà qui vient pour lui conter fleurette. Elle a sans doute cru qu’il était intéressé par ses talents de lavandière. Elle ne l’a pas très bien reçu.
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Il vous reçoit le jour de fermeture hebdomadaire de son exposition « Martinique des Mornes ». Il est venu pour vous parler de ce qui le tient debout, de ce qui lui donne sa verticalité, de son « objet petit a », si l’on peut en parler, dirait le psychanalyste. C’est d’une passion dont il est question, mais une passion tranquille, assurée, de celle qui donne sens à toute une vie, de celle qui donne l’impression de ne pas douter. Son chemin est celui-là, celui qui le fait gravir encore et encore les mornes de Martinique, de sa Martinique, à la recherche de ce qui serait son essence.
Il y a trois douzaines d’années de ça il est tombé amoureux d’un objet, un appareil photo. Le boîtier noir et son objectif, la densité de l’alliage du verre et du métal sous une forme compacte, le plaisir de le saisir, de l’avoir en main comme on a le plaisir d’avoir un vin en bouche, le poids de l’objet, l’impression de solidité et la fragilité des mécanismes qui le composent, l’objet comme un prolongement de soi, comme une pulsion, comme un concept à la limite du corps et de l’esprit. Voilà pour le médium. Car ce n’est que cela. Pas moins mais pas plus! Car l’essentiel est ailleurs, dans l’usage qu’il en fait, dans l’adéquation entre l’outil et la tâche, dans ce qu’il photographie, dans l’unique objet de sa recherche, sa quête même, car il y a quelque chose de mystique dans sa démarche dans son désir de capter, l’espace d’un instant, l’âme de son peuple. L’ensemble des ses travaux dont l’exposition « La Martinique des mornes » retrace vaille que vaille l’itinéraire, est consacré à fixer sur la pellicule soit des paysages, soit des visages martiniquais. Philippe Bourgade le fait avec une tendresse, une proximité, une identification au sujet de son travail qui abolit la distance entre le praticien et l’objet de sa pratique.
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C’est parce qu’il connaît la pratique du lancer de filet « à l’épervier » qu’il peut anticiper et ainsi capter le geste immémorial du pécheur au travail. C’est parce qu’il connaît, sans doute bien plus qu’il ne veut le reconnaître, les pratiques magico-religieuses qui enrobent la symbolique de l’eau qu’il peut consacrer tout un album « L’eau mémoire » avec des textes de Ina Césaire, Max Rippon, Sheila Walker, à cet élément. Sa recherche de la quintessence, le mène à des photos dénuées de toute temporalité. L’exposition de l’Atrium nous montre ainsi des photos prises peu après DEAN, et notamment une sur laquelle une femme, en l’absence de gaz et d’électricité, a ressorti le pot à faire cuire le fruit à pain qu’elle a posé sur les trois pierres d’un feu de bois. Aucun misérabilisme dans les photos mais une affirmation tranquille d’une identité suffisamment sure d’elle-même pour se montrer pour ce qu’elle est à travers ses pratiques sociales et culturelles, sans ostentation ni fausse honte. Un homme qui « drague », sans beaucoup de succès une lavandière ( Zaï mouillé), un gamin jouant au « kalinbanjo » sur un terrain pentu, un concentré de mélancolie et de solitude, (Un homme et son riz) une jeune fille portant une bassine d’eau sur la tête et qui butte sur une pierre (La déveine), une sirène enceinte jusqu’aux yeux et qui offre son ventre à la rivière, des joueurs de cartes emportés par le jeu, tous ont oublié le photographe, tous l’ont accepté comme étant l’un des leurs.
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Philippe Bourgade parle de ses clichés comme des cadeaux qui lui sont faits. Des cadeaux du ciel, des dieux qui peuplent nos mornes et nos plaines, nos cours d’eaux et nos montagnes? Plutôt des cadeaux des hommes et des femmes de ce pays qui devinent et qui reconnaissent dans le regard qu’il porte sur sa terre ce qu’il y a d’amour véritable, d’enracinement viscéral.
Le travail de Philippe Bourgade est auto-centré, auto référencé, s’il a exposé à Paris, Toronto ou New York il ne photographie bien que ce qui relève de la Martinique. On l’imagine mal photographier les pingouins en Alaska! Pas la peine de le comparer à d’autres photographes d’autres pays que le sien, sa façon de photographier est tellement déterminée par l’unique objet de son travail, sa terre, l’osmose entre l’observateur et « l’observé » est telle que cela relève d’une alchimie qui ne peut-être que singulière et à nulle autre semblable.
Roland Sabra
2006 Parution du livre « Eau-Mémoire«
2005 Exposition géante « Portraits de femmes » à la bibliothèque Schoelcher
2004 Expositions à l’Atrium et dans le marché de Fort de France
2002 Exposition « Mi Nou » dans les rues deFort de France
2001 Participant aux « Rencontres Photographiques en Caraïbe »
1999 Exposition « Martinique des Mornes » au festival « hot & spicy » à Toronto
1998 Exposition « Martinique des Mornes » au festival « Vues d’Afrique » à Montréal
1997 Exposition « Eau-Mémoire« dans le cadre de la journée de l‘eau
1996 Exposition « Femmes & eau » avec l’UFM
1995 Parution du livre « Où a-t-on pris que la nuit tombe? »
1994 Pochette du disque « Malavoi«
Exposition « L’instant qui bouge » photos de danse et de théâtre
Affiche du spectacle « Ladja de paroles » de Elie Pennont
Exposition sur le carnaval avec les magasins « Champion »
1993 Photographe de plateau du film deEuzhan Palcy sur Aimé Césaire
Exposition « Musiques, chants et danses de nos campagnes »
1992 Exposition en Ohio festival « Midfest international »
1991 Exposition à « Schombert center for research in black culture » à New York
1986 Exposition « Ombres et lumières » à Fort de France
Exposition « La canne à sucre » à la Villette à Paris
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