Reprenons les termes du problème pour en prendre toute la mesure et ne pas en rester au jeu des postures des « nèg-maron pleurnichards » et au bavardage du « nationalisme mondain ».
Commençons par le commencement. Le Conseil de surveillance du Grand Port est composé de 17 membres dont 13 martiniquais et 4 représentants de l’Etat. Les 5 années de mandature précédentes étant échues ; le 26 juin dernier il y a eu, comme le prévoit les textes, un vote du Conseil pour élire un nouveau Président. Deux candidats briguaient la fonction : le président sortant, Président par ailleurs de la CCIM, et le Maire du chef-lieu – qualifié pompeusement de « ville capitale », soutenu par le Président de son parti et actuel Président de l’exécutif de la CTM. L’argument de campagne du maître de plateau Roy était « la cohérence », autrement dit, comme pour la CACEM et l’ex Conseil général, à l’époque, la mise du port sous sa tutelle par personne interposée. Le vieil adage qui nous préservait de l’autocratie, « ne pas donner trop de pouvoirs à un seul », a laissé place depuis à une « logique boulimique du pouvoir » : l’homme veut contrôler toutes les institutions locales majeures. On perçoit même en filigrane des velléités de mainmise sur la fonction publique d’Etat (Education Nationale) et hospitalière (CHUM). Ce n’est pas une passion du pouvoir qui ferait avancer l’histoire dans le sens de la raison, du bien commun – ce que le philosophe allemand Hegel qualifiait de « ruse de l’histoire », mais une pathologie du pouvoir…
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Le Président sortant Conseil de surveillance du Grand Port va l’emporter : 7 voix contre 5 pour son adversaire dans un scrutin à bulletin secret. Un membre martiniquais du Conseil était absent sans avoir laissé de procuration. Les 4 représentants de l’Etat ont voté blanc, une manière sans doute de dire, « débrouillez-vous entre vous, nous ne voulons pas nous immiscer dans les affaires intérieures de la nation martiniquaise ». Ce serait donc 12 martiniquais qui ont voté et départagé deux candidats martiniquais. Où est donc dans cette séquence le néocolonialisme dont se plaint le Président de l’exécutif de la CTM ? Nous sommes ici au cœur du « paradoxe martiniquais » : on dénonce le néocolonialisme tout en étant de fait un demandeur de néocolonialisme. Brandir le chantage du retrait de la CTM du port, le priver ainsi de l’argent de l’Europe, pour que Paris remette en cause un vote démocratique de martiniquais parce qu’il vous est défavorable c’est un appel explicite au néocolonialisme outre d’être d’une puérilité consternante.
Venons-en au « Petits meurtre entre amis ». Celui qui fulmine et lance imprudemment à la vindicte le nom d’un conseiller de la Première Ministre oublie que ce sont les néocolonialistes, comme il dit, et les békés qui ont, pour une large part, favorisé sa carrière pour contrer l’influence d’Alfred Marie-Jeanne. L’erreur majeure de ce dernier a été de ne pas s’être assez préoccupé de la question capitale du « passage du flambeau » et du renouvellement de la doctrine. Mais le plus important pour comprendre l’allusion contenue dans l’intitulé de l’article est le constat que tout ce petit monde, ministre, vainqueur, vaincu et alliés, ont éludé l’interrogation sur le fond : doit-on perpétuer le modèle hérité de la période coloniale en continuant à faire du port le poumon économique de l’île ? Une économie au service essentiellement de l’importation de biens de consommation et de l’exportation de la banane. Une économie extravertie au service d’abord des catégories économiquement dominantes, des gros transporteurs maritimes et des transitaires. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’utilité économique du port mais d’essayer d’inscrire celle-ci dans une perspective plus globale de réduction des dépendances. Ainsi approchée va se poser nécessairement la question de savoir si les fonctions qu’on veut lui assigner aujourd’hui sont compatibles avec cette perspective et donc si on doit continuer à penser cet outil comme un levier stratégique privilégié d’un développement social, économique et environnemental équilibré.
Fort de France le 3/07/2023
Marie Laurence DELOR