— Par Selim Lander —
Une pièce à thèse très réussie : la thèse est démontrée… dans la mesure où elle écarte d’emblée les objections. Ainsi l’affaire Dutroux, exemplaire en ce qu’il s’agit d’un tueur sadique et sans aucun remords et qu’il n’y a pas le moindre doute sur sa culpabilité. Face à l’interrogation évidente – à quoi bon maintenir en prison un individu pareil jusqu’à ce que mort s’en suive ? – l’auteur botte en touche. A partir de là, il est facile de trouver des exemples d’erreurs judiciaires qui ont conduit des innocents à la guillotine ou sur la chaise électrique. D’emblée, le débat de fond est donc écarté : n’y a-t-il pas pourtant un distinguo à faire entre le criminel avéré et celui pour lequel un doute subsiste, aussi minime soit-il ? Il est dommage que le cas Dutroux, si exemplaire, soit ainsi écarté, d’une chiquenaude. Le justification de son enfermement plutôt que son élimination serait-elle l’espoir d’une rédemption ? Ou bien la foi dans une dignité de la personne humaine quelle qu’elle soit ? Le texte cite également R. Badinter. De mémoire : « Loin de décourager les terroristes, la peine de mort les rendrait plus nombreux ». Dans un souci de vengeance ? Peut-être. On pourrait tout aussi bien considérer que l’abolition de la peine de mort est aux yeux des terroristes une preuve de plus de la faiblesse de la société qu’ils ont entrepris de combattre, donc un encouragement.
Un livret distribué au début de la pièce permet de se rendre compte que les débats organisés autour de ce spectacle sont sans doute moins manichéens et donnent à entendre un autre son de cloche. En attendant, il faut prendre Suzy et Franck pour ce qu’elle est, une pièce militante contre la peine de mort, fort bien réalisée. L’exemple qui est monté en épingle, puisé dans les annales de la Justice des Etats-Unis – laquelle n’en manque pas de scandales ! – ne peut que révolter le spectateur. Le pays qui se prétend le phare de la liberté dans le monde est loin en effet de se montrer exemplaire en matière de justice, et compte tenu de toutes les erreurs connues (sans compter toutes les autres), il est en effet plus qu’urgent que ce pays abolisse la peine capitale, et pas simplement certains États.
Eo dicto (tout ceci posé), le spectacle, on l’a dit, est très bien monté, avec les bruitages appropriés, des voix off quand il faut, et un auteur interprète ( Didier Poiteaux) apte à endosser plusieurs personnages. Il commence et finit par une citation de Musset qui se termine ainsi : « il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux (On ne badine pas avec l’amour). Qui ne serait pas d’accord avec un tel hymne à l’amour ?
PS. La citation in extenso : «Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais s’il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.»