— Par Selim Lander —
Les Revenants de l’impossible amour de Faubert Bolivar
L’édition 2022 du festival martiniquais des « Petites Formes » a commencé en fanfare, pourrait-on dire, par la création d’une nouvelle pièce de Faubert Bolivar. « Fanfare » ne doit pas être pris ici au pied de la lettre, même si la musique est très présente et sur le plateau avec deux musiciens (Daniel Dantin et Ghassen Fendri), l’un à la section rythmique, l’autre à la guitare électrique. Le mot est plutôt à prendre au sens plus général de ce qui révèle un éclat particulier. Et de fait, outre la musique, le décor, les costumes, l’aisance des comédiens, tout contribue à faire de cette pièce un spectacle total.
On ne présente plus Faubert Bolivar au public martiniquais. Sa dernière apparition publique date du mois de novembre dernier, lorsque sa pièce Il y aura toujours un dernier soleil fit l’objet d’une lecture publique – remarquée – par Alexandra Déglise /1. Il fit lui-même, naguère, une apparition en personne sur les planches de Tropiques Atrium où on put l’entendre défendre vaillamment des textes poétiques. Pour ceux qui, malgré tout, ne le connaîtraient pas encore, précisons qu’il est professeur de philosophie – il sait de quoi il parle – et d’origine haïtienne – il sait donc de quoi il parle quand il évoque Haïti, et ici plus précisément sa religion, même si d’autres sujets comme celui des inégalités plus flagrantes là-bas qu’ailleurs sont également abordés dans une pièce dont l’amour contrarié constitue néanmoins l’argument principal. La notice présentant la pièce fait d’ailleurs référence à Roméo et Juliette.
« Un Roméo et Juliette joué par les dieux de la mort… une histoire qui a pour cadre non un balcon mais un cimetière ». On ne dévoilera pas ici les ressorts de l’intrigue, espérant seulement que Les Revenants de l’impossible amour connaîtront bientôt d’autres représentations afin que les lecteurs qui n’ont pas encore vu la pièce puissent les découvrir par eux-mêmes. Disons simplement que nous sommes effectivement plongés sinon dans un cimetière, du moins dans la fiction – théâtre oblige – convaincante d’un cimetière. Des tombes en réduction, des grands crucifix, les lumières quasi sépulcrales, une fumée au début en guise de brume, tout est réuni pour créer l’illusion d’un cimetière, la nuit. Un homme, armé d’une pelle, vêtu d’un simple T-shirt blanc et d’un pantalon noir – un fossoyeur ? – est esseulé sur le plateau jusqu’à ce que se montre la reine de la nuit, ou plutôt puisque nous sommes dans le panthéon haïtien, Dame Brigitte, la reine de la mort, somptueusement parée. Le contraste entre cette tenue vraiment royale et le simple appareil de l’homme suffit à marquer la différence de classe entre les deux protagonistes. Mais pourquoi s’intéresse-t-elle à lui ? L’auteur nous lance sur une première piste, évidente, le sexe, ce moteur primal qui gouverne notre cerveau reptilien (« Le sexe est l’une des neuf raisons qui plaident en faveur de la réincarnation. Les huit autres sont sans importance ! », Henry Miller). Et celui-ci conduit inévitablement au rapport de forces (« Le sexe n’est jamais qu’une prise de pouvoir sur l’autre… », Olivier Norek). Le personnage féminin, ici, est la vivante image de la femme dominatrice et le personnage masculin l’incarnation de l’homme pusillanime qui n’est même pas au clair concernant ses désirs. Mais nous sommes au théâtre où rien n’est figé…
Disons pour finir que Ndy Thomas et Rita Ravier sont à l’unisson de cette pièce baroque avec une grosse poignée d’ésotérisme. Mention spéciale pour la comédienne qui s’affirme de plus en plus, au fil de ses rôles, comme une « grande », que ce soit dans le registre comique ou tragique. Et danseuse de surcroît, cette deuxième corde à son arc lui confère sur le plateau une allure, une démarche qu’on ne rencontre que rarement chez les actrices.
/1 Voir ici : https://www.madinin-art.net/vitalite-du-theatre-en-martinique