Pesticides : une étude prouve bien leur nocivité extrême sur la biodiversité

Une vraie plaie pour la biodiversité. Une vaste étude prouve une fois de plus l’impact négatif des pesticides sur l’environnement. Et ce, dans de très nombreux domaines.

Le résultat est sans appel : oui, les produits phytopharmaceutiques sont bien extrêmement nocifs pour la biodiversité en France. Trois ministères – la Transition énergétique, l’Agriculture et la Recherche – ont commandité cette vaste étude, dévoilée début mai. Pour créer cette méta-analyse, il a fallu deux ans et 46 experts affiliés à 19 organismes. Parmi eux, l’Inrae (Institut national de recherches pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et l’Ifremer (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer). C’est la plus vaste étude sur les pesticides jamais réalisée à ce sujet dans l’Hexagone.

Et ce, même si le problème est déjà documenté depuis plusieurs années. Chaque année en France, ce sont entre 55 000 et 70 000 tonnes de produits phytopharmaceutiques qui se vendent. Utilisés aussi bien dans l’agriculture que dans les jardins, on les retrouve dans la moitié des fruits et légumes consommés. Mais ils contaminent aussi les sols et les cours d’eau, les animaux (notamment les invertébrés, les amphibiens, les oiseaux mais aussi les insectes tels que les abeilles). On retrouve même des traces dans le corps des êtres humains.

Depuis la zone d’épandage jusqu’aux milieux marins

Pour réaliser leur méta-analyse, la quarantaine d’experts a passé en revue quelque 4 000 études scientifiques déjà publiée. Elles portaient soit sur la France soit sur des zones géographiques similaires. Objectif : réaliser une synthèse des connaissances sur l’impact des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les écosystèmes.

Dans leur rapport, les scientifiques notent que “l’état actuel des connaissances montre une large contamination des écosystèmes par les produits phytopharmaceutiques. Avec un pic de contamination dans les espaces agricoles – dans les sols, les petits cours d’eau et l’air… Là où ils sont majoritairement appliqués. Cette contamination touche aussi les zones situées à distance des parcelles cultivées comme les milieux aquatiques et les sédiments. Ceci jusqu’à des milieux reculés comme les zones proches des pôles et les grands fonds marins.“

Des traces de pesticides interdits depuis plusieurs décennies

Des traces de substances ont été retrouvées à des centaines ou des milliers de kilomètres de leur zone d’application. Aussi, les études font état de produits interdits depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. Enfin, le rapport souligne que l’exposition aux pesticides est “avérée pour un large panel d’organismes. Et montre que la contamination se propage aussi parfois le long des réseaux trophiques”.

“Les études disponibles publiées ces vingt dernières années permettent d’affirmer de manière robuste que les produits phytopharmaceutiques sont une des causes majeures du déclin de certaines populations”, affirme Stéphane Pesce, de l’Inrae.

De multiples effets nocifs sur la biodiversité et les écosystèmes :

  • Un déclin des populations d’invertébrés terrestres. Comme les insectes pollinisateurs et les coléoptères prédateurs de certains ravageurs des cultures.
  • Un déclin des invertébrés aquatiques et d’oiseaux communs. On peut citer les abeilles, es coléoptères prédateurs, les oiseaux, les chauve-souris, les amphibiens, etc.
  • Un facteur aggravant de l’état de santé des écosystèmes, classé au 4ème rang des facteurs directs pesant sur la nature à l’échelle mondiale, parmi les autres types de pollution, et devant les espèces exotiques envahissantes.
  • Côté mer, des impacts directs et indirects sont confirmés à l’échelle des individus (sensibilité accrue des huîtres ou des dauphins à des virus, disparition d’habitats essentiels pour les invertébrés marins…).

Contre les pesticides, des mesures qui tardent à être appliquées

Malgré une littérature scientifique fournie et sérieuse sur le sujet, la diminution du recours aux produits phytosanitaires en France se fait attendre. Pourtant, dès 2007, le Grenelle de l’environnement avait fixé un objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides de synthèse sur dix ans. De multiples plans allant dans ce sens ont depuis été adoptés par le gouvernement. Mais ils ont tous échoué les uns après les autres.

Au niveau de l’Union européenne aussi, des propositions émergent pour lutter contre les pesticides. Actuellement, une proposition est à l’étude pour réduire de moitié l’usage de pesticides à échéance 2030. A voir si, cette fois, les mesures seront réellement adoptées. Il y a urgence, comme ne cesse de le rappeler le GIEC.

Source : Wedemain

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Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques : résultats de l’expertise scientifique collective INRAE-Ifremer

Dans le cadre du programme Ecophyto II+, les ministères en charge de la transition écologique, de l’agriculture et de la recherche ont confié en 2020 à INRAE et l’Ifremer le pilotage d’une expertise scientifique collective sur les impacts de ces produits sur la biodiversité et les services écosystémiques, depuis leurs zones d’épandage jusqu’au milieu marin, en France métropolitaine et en Outre-Mer. Les conclusions de cette expertise, présentées ce 5 mai lors d’un colloque public, confirment que l’ensemble des milieux terrestres, aquatiques et marins – notamment côtiers – sont contaminés par les produits phytopharmaceutiques. Des impacts directs et indirects de ces substances sont également avérés sur les écosystèmes et les populations d’organismes terrestres, aquatiques et marins. La contamination tend néanmoins à diminuer pour les substances interdites depuis plusieurs années.

Ces travaux mettent aussi en avant des besoins de recherche complémentaires pour mieux quantifier l’impact de ces produits sur l’environnement. Ils soulignent par ailleurs l’existence de plusieurs leviers, liés à la réglementation, aux pratiques d’utilisation des produits et à la structure des paysages agricoles, efficaces pour limiter cette contamination et ses impacts, tout en garantissant la protection des récoltes, alors même que les systèmes de production agricole ne recourant pas aux produits phytopharmaceutiques sont encore trop limités.

L’usage des produits phytopharmaceutiques dans le but de protéger la production agricole et d’entretenir les espaces verts et les infrastructures peut impacter des organismes vivants non ciblés, et par là-même les écosystèmes et les services qu’ils rendent à nos sociétés. Depuis les deux précédentes expertises scientifiques collectives de 2005 et 2008, les connaissances et les outils de diagnostic ont évolué de même que le type de molécules autorisées et leurs usages. C’est pourquoi les ministères en charge de la transition écologique, de l’agriculture et de la recherche ont commandité à INRAE et à l’Ifremer une nouvelle expertise portant sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité continentale (terrestre et aquatique) et marine, ainsi que sur les services écosystémiques qu’elle rend. Pendant deux ans, 46 experts affiliés à 19 organismes différents ont étudié plus de 4 000 références scientifiques issues de la littérature mondiale. Leur mission : analyser la robustesse des connaissances actuelles sur l’état de la contamination des milieux par les produits phytopharmaceutiques (molécules de synthèse, produits de biocontrôle) et leurs produits de transformation d’une part et leurs impacts sur les organismes vivants et les services écosystémiques qui en dépendent d’autre part.

Ces travaux apportent également des éclairages sur les méthodes d’évaluation réglementaires mises en œuvre avant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, sur les méthodes de suivi de leurs impacts et sur les leviers susceptibles de limiter leurs effets éventuels. En revanche, l’expertise ne traite pas des pratiques et systèmes agricoles, notamment ceux qui sont susceptibles d’assurer la protection des cultures sans recours aux produits phytopharmaceutiques. Ces thématiques font l’objet d’autres travaux conduits en parallèle, notamment via l’expertise scientifique collective sur l’utilisation de la diversité des couverts végétaux pour réguler les bioagresseurs dont les résultats seront rendus à l’automne 2022, et le programme de recherche « Cultiver et protéger autrement ». Par ailleurs, cette expertise scientifique ne traite pas de la question des impacts des pesticides sur la santé humaine, qui a été récemment ré-évaluée dans le cadre d’une expertise collective pilotée par l’Inserm.

Tous les types de milieux sont contaminés 

Depuis les années 2000, la surveillance de la contamination des différents écosystèmes par les produits phytopharmaceutiques a été progressivement renforcée. La liste des substances recherchées s’est allongée et les capacités d’échantillonnage, d’analyse et de détection se sont améliorées, offrant aujourd’hui une image plus précise de la contamination des milieux. L’état actuel des connaissances montre une large contamination des écosystèmes par les produits phytopharmaceutiques, avec un pic de contamination dans les espaces agricoles – dans les sols, les petits cours d’eau et l’air – là où ils sont majoritairement appliqués. Cette contamination touche aussi les zones situées à distance des parcelles cultivées comme les milieux aquatiques et les sédiments, ceci jusqu’à des milieux reculés comme les zones proches des pôles et les grands fonds marins. Parmi les substances retrouvées à des centaines ou des milliers de kilomètres de leur zone d’application, on retrouve notamment celles interdites depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, dont la concentration tend toutefois à diminuer. L’exposition aux produits phytopharmaceutiques est avérée pour un large panel d’organismes et montre que la contamination se propage aussi parfois le long des réseaux trophiques.

Une fragilisation de la biodiversité et des services qu’elle nous rend 

Dans les espaces agricoles de la métropole, ces produits sont impliqués dans le déclin des populations d’invertébrés terrestres (comme les insectes pollinisateurs et les coléoptères prédateurs de certains ravageurs des cultures), d’invertébrés aquatiques et d’oiseaux communs. De nombreux travaux ont permis d’identifier des effets directs aigus, allant parfois jusqu’à la mort d’individus, ou les effets d’une exposition chronique, dont certains peuvent se transmettre entre les générations. Des effets indirects ont également été constatés. Ils sont essentiellement associés à la réduction des ressources alimentaires (insectes et végétaux éliminés par les produits phytopharmaceutiques) ou à l’altération voire la suppression d’habitats.

Ces produits agissent ici comme un facteur aggravant de l’état de santé des écosystèmes, classé au 4ème rang des facteurs directs pesant sur la nature à l’échelle mondiale, parmi les autres types de pollution, et devant les espèces exotiques envahissantes. La modification de l’utilisation des terres et des mers, l’exploitation directe des organismes, et les changements climatiques sont les trois premiers facteurs aux plus lourdes incidences sur la nature . Côté mer, des impacts directs et indirects sont confirmés à l’échelle des individus (sensibilité accrue des huîtres ou des dauphins à des virus, disparition d’habitats essentiels pour les invertébrés marins…). Néanmoins, la littérature ne permet pas de savoir si ces impacts s’étendent à l’échelle de la population et affectent en cela la biodiversité.

Concernant les services écosystémiques, peu d’études abordent spécifiquement leur lien avec l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, sauf pour ceux qui sont liés à la production végétale cultivée, à la pollinisation et à la lutte contre les ravageurs des cultures. Ces études montrent que si l’usage des produits phytopharmaceutiques permet d’éliminer efficacement les ravageurs des cultures pour assurer la production agricole végétale et en cela la sécurité alimentaire, il affecte négativement les deux autres services essentiels à cette production que sont la pollinisation et la régulation naturelle de ces mêmes ravageurs, menaçant à terme le maintien de cette dernière.

Le cas spécifique du biocontrôle

Insectes, acariens, bactéries, virus, phéromones et autres substances naturelles sont de plus en plus mis en avant pour protéger les cultures. Ils constituent des alternatives prometteuses à l’utilisation de produits chimiques de synthèse, en régulant la pression des ravageurs sans nécessairement les éliminer. D’une manière générale, les travaux scientifiques ont jusqu’à alors été axés essentiellement sur l’évaluation de l’efficacité des produits de biocontrôle, mais ils restent très lacunaires sur leurs impacts sur la biodiversité. Si l’expertise confirme que la plupart des substances et organismes dits de biocontrôle présentent une faible persistance et une faible écotoxicité, quelques-uns font néanmoins exception. Ils montrent en effet une persistance et/ou une toxicité équivalentes voire supérieures à celles de leurs homologues de synthèse. Les micro- et macroorganismes présentent par ailleurs des risques spécifiques car ils sont parfois capables de se reproduire et de se disperser dans l’environnement. 

Atténuer les impacts des produits phytopharmaceutiques 

Les effets négatifs des produits phytopharmaceutiques sur l’environnement et sur la santé humaine ainsi que leur efficacité pour protéger les cultures sont évalués selon un cadre harmonisé au niveau communautaire. La réglementation européenne de mise sur le marché et d’utilisation des produits phytopharmaceutiques est une des plus exigeantes au monde, notamment en termes d’évaluation des impacts des substances sur l’environnement. 

De nombreuses molécules dangereuses pour la santé humaine, dont un certain nombre d’entre elles ont un effet délétère sur l’environnement, ont ainsi été interdites à la mise sur le marché, par exemple en 2016 l’Isoproturon, un herbicide, en 2019 le Chlorpyrifos et le Dimethoate, des insecticides, ou encore en 2020 le Mancozèbe, un fongicide.

Néanmoins cette réglementation présente des limites. Elle ne prend pas suffisamment en compte la complexité des effets sur la biodiversité et sous-estime l’effet « cocktail » des substances qui se mélangent et se cumulent dans l’environnement, ainsi que leurs éventuels effets indirects. Le dispositif de surveillance des impacts des produits phytopharmaceutiques pourrait également être amélioré en produisant et collectant davantage de données sur la biodiversité dans le cadre de la phytopharmacovigilance et en élargissant le nombre d’espèces et de milieux étudiés.

L’expertise confirme aussi que les modalités d’application des produits phytopharmaceutiques ainsi que certains aménagements paysagers (bandes enherbées, haies…) permettent de limiter la contamination de l’environnement et ses impacts. Le paysage est également un élément clé pour la préservation des habitats et des zones refuges pour la biodiversité. La littérature scientifique souligne que c’est une combinaison de différentes actions complémentaires à terre qui permet d’atténuer leur dispersion jusqu’à la mer et leurs impacts, sans les neutraliser totalement. Enfin, cette expertise scientifique identifie des besoins de connaissances sur les impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité marine et ultra-marine. Elle souligne également des besoins de recherche, sur des substances en particulier ou sur les produits de biocontrôle, sur leurs effets « cocktail » et les services qu’elles touchent, sur certains organismes, ou compartiments biologiques encore peu étudiés (amphibiens, reptiles, microbiotes…), pour mieux évaluer à l’avenir leurs impacts sur l’environnement.

Expertise scientifique collective à venir sur la régulation des bioagresseurs par la diversité des couverts végétaux

En parallèle de ce travail, une expertise scientifique collective est actuellement en cours sur l’utilisation de la diversité des couverts végétaux pour réguler les bioagresseurs et protéger les cultures. Ses résultats seront rendus publics à l’automne 2022.

Qu’est-ce qu’une expertise scientifique collective ?

Une expertise scientifique collective est un état de l’art des connaissances scientifiques à date sur un sujet de société donné, commandité par les acteurs publics, en appui à la décision publique. Cette expertise s’appuie sur la littérature scientifique internationale disponible et pertinente, et n’est donc pas exempte de lacunes, ce qui permet de pointer des besoins de recherche. Ce travail mobilise pendant deux ans 20 à 40 experts pluridisciplinaires animé par un chef de projet et un ou plusieurs pilotes scientifiques. Il est présenté au début et fin de projet à un comité consultatif d’acteurs représentatifs des parties prenantes sur un même sujet qui peut faire controverse. Il fait l’objet d’un colloque de restitution publique et de la production de plusieurs documents en accès libre.

Référence : Sophie Leenhardt, Laure Mamy, Stéphane Pesce, Wilfried Sanchez, (2022). Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques, Synthèse du rapport d’ESCo, INRAE – Ifremer (France), 124 pages.
Contacts scientifiques :
Sophie Leenhardt, cheffe de projet – sophie.leenhardt@inrae.fr
Laure Mamy, pilote scientifique – laure.mamy@inrae.fr
Stéphane Pesce, pilote scientifique – stephane.pesce@inrae.fr
Wilfried Sanchez, pilote scientifique – wilfried.sanchez@ifremer.fr
Contacts presse : 
Service de presse INRAE : 01 42 75 91 86 – presse@inrae.fr
Service de presse de l’Ifremer : 06 07 84 37 97 / 06 49 32 13 83- presse@ifremer.fr

Source : Ifremer