— Par Gustavo Torres —
L’immense physicien que fut Albert Einstein aimait à dire : – je ne connais que deux choses infinies : l’univers et la bêtise humaine… et il rajoutait : – encore que pour l’univers je ne suis pas certain.
En fait, nous le savons depuis longtemps, l’homme occidental moderne est un arrogant prétentieux convaincu que le monde est là pour son service et bon vouloir et la nature une pauvre petite chose qu’il faut domestiquer.
Mais puisque nous sommes dotés d’une mémoire de poisson rouge, il est bon que régulièrement, l’un d’entre-nous galvanisé d’un quelconque pouvoir, vienne nous le rappeler.
L’honneur revient aujourd’hui à l’acte de bravoure déterminant pour l’avenir de la planète que fut l’abattage du fromager des Anses d’Arlet par son maire et son conseil municipal.
Notez que pour se donner bonne conscience (il y a toujours cela de fascinant dans les actions des lâches qu’ils soignent la forme) ils ont appelé cela un abattage, comme pour les animaux qu’on tue à l’écart de notre vue trop sensible. Ainsi l’arbre, être vivant méprisé du haut de notre capacité de déplacement, aura été donc mis à terre.
Mais soyons précis, hors euphémismes, en fait : il a été tué.
À l’heure où une part de l’humanité rappelle le rôle essentiel des arbres pour l’équilibre des écosystèmes, pour la réduction de la température, pour la régénération de l’air et de l’eau, la commune des Anses d’Arlet tue un fromager plus que centenaire parce qu’une infime partie de son système racinaire a ébréché la belle route en béton des hommes civilisés.
Peu importe que les ingénieurs forestiers ou routiers consultés aient tous dit qu’on pouvait régler le problème autrement et en dépensant beaucoup moins d’argent public, le maire n’est pas un homme à se laisser influencer…
Et d’après lui, la justice est là pour le prouver, qui lui aurait finalement donné raison.
Or, la justice ne s’est pas du tout prononcée sur le fond mais seulement sur la forme (la loi n’est pas la morale, et la justice regarde toujours le doigt, c’est justement sa cécité, dit-on, qui garantit son équité).
Que ce soit clair, le maire a décidé contre l’avis des spécialistes que la seule solution pour réparer sa petite route était de tuer l’arbre. Il a donc fait voter par son conseil municipal l’arrêté d’abattage mais a négligé, dans un premier temps, de respecter les formes.
Le tribunal lui a dit que ce n’était pas bien – j’insiste : non pas d’abattre l’arbre mais de ne pas le faire dans les formes – alors il a remis le couvert et en respectant la procédure cette fois-ci s’est fait octroyer le droit de mettre à mort le fromager.
Dans LES RACINES DU CIEL, l’idéaliste Morel s’insurgeait : il est facile de tuer un éléphant, il n’y a pas vraiment besoin de savoir viser, on tire dans le tas et on tue…
Il est tout aussi facile de tuer un arbre, désarmé, cloué au sol, muet…
Aucun Amérindien n’aurait tué un fromager.
Axe de la création, pivot entre l’inframonde et le supramonde, point nodal distribuant le nord et l’est, le fromager était et demeure l’arbre sacré des civilisations précolombiennes.
Aucun Martiniquais, me suis-je laissé dire, ne tuerait un fromager ; alternative aux souffrances matérielles, demeure des soucougnans, inspiration des poètes… le fromager a toujours été respecté ici.
Plus maintenant…
Grâce à l’action courageuse et décidée du grand maire notre civilisation est sauve.
Que lui et et son conseil avisé soient donc ici remerciés, nous pouvons de nouveau dormir en paix, aucun arbre ne viendra plus nous menacer.
Gustavo Torres – novembre 2024