— Par Jean Philippe NILOR —
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Monsieur le rapporteur, Chers collègues,
Si nous nous réunissons aujourd’hui, c’est bien pour mutualiser nos capacités de réflexion et d’anticipation, afin de reconstruire, à partir des vestiges de l’Université des Antilles-Guyane, la nouvelle Université des Antilles.
Il nous appartient d’ériger des piliers solides, afin de prévenir les rivalités stériles qui ont émaillé l’histoire de l’Université des Antilles-Guyane et qui ont eu pour conséquences la détérioration de notre image collective et l’effondrement brutal en moins de 30 jours, avec la bénédiction du gouvernement, de ce qui avait été patiemment bâti en plus 30 ans.
Notre objectif doit être aujourd’hui de permettre à l’Université des Antilles d’être attractive, crédible et solide, pour rétablir les conditions favorables à l’apprentissage et l’épanouissement de nos étudiants .
En effet, le vieillissement rapide des populations de nos régions, la baisse démographique qui nous frappe et le fait qu’un jeune sur deux qui quitte nos territoires ne revient pas y vivre après son parcours de formation, sont autant de facteurs qui sinistrent davantage nos territoires tant socialement qu’économiquement. Nous n’avons alors d’autre alternative que de miser sur le renforcement de nos capacités à former nos jeunes.
Aussi, la loi Fioraso du 22 juillet 2013 qui vise à fusionner des universités déjà importantes en taille pour en faire des ensembles dotés de moyens mutualisés et bénéficiant d’une forte visibilité à l’international, nous soumet à la concurrence de ces méga-universités et à l’obligation de redoubler d’efforts et d’ingéniosité pour retenir nos étudiants dans notre institution.
Enfin, nul ne saurait imaginer la pérennité d’un établissement bicéphale sans dispositif de renforcement de la cohésion et de la stabilité pour éviter les risques d’implosion qu’a connue l’UAG,
Pour y parvenir, la proposition concernant l’élection de la future gouvernance de l’université, au terme de la mandature de celle-ci, introduite lors du projet de loi examiné par le Sénat dans le cadre de la ratification de l’ordonnance, connue sous le nom de « ticket à trois » m’apparaît la plus judicieuse.
Elle suppose que l’élection du futur président de l’UA se fasse en même temps que celle de ses deux Vice-présidents des pôles afin de renforcer la stabilité et la cohésion de l’université. Afin de respecter en tous points l’autonomie des pôles les statuts de l’université pourraient simplement prévoir de compléter ce dispositif par d’autres dispositions.
Pour ma part j’adhère à la proposition qui consiste à faire en sorte qu’en amont de l’élection du président de l’université, une liste de 3 candidats à la vice-présidence de pôle soient déterminés par chaque pôle et que les candidats à la présidence soient tenus de puiser dans cette liste leurs colistiers au titre de vice-président de pôle. C’est ainsi que l’on concilierait l’unicité de l’établissement avec l’autonomie des pôles.
Le texte tel que présenté m’apparait réunir les conditions minimales pour que l’Université survive après une amputation, ô combien traumatisante.
Toutefois, j’attire l’attention sur le fait que les amendements soutenus ou repris à son compte par le gouvernement pourraient se révéler clairement préjudiciables, car portant en leur sein, les germes de divisions à venir.
Le gouvernement à la différence de la formulation « patrimoine mobilier et immobilier » proposée par le député Lurel, parle de « surfaces ». S’agit-il d’une manière plus sournoise de revenir à cette formulation initiale de « patrimoine mobilier et immobilier»? En tout état de cause, les surfaces à prendre en compte dans la subvention de l’Etat ne peuvent être que les surfaces financées à l’origine par l’Etat. Figer cela dans la loi reviendrait à ouvrir la porte à des dérives importantes si les collectivités territoriales, suite à cet amendement, se mettent à construire des campus. La destination des critères doit rester une prérogative du conseil d’administration de l’Université des Antilles.
La prise en compte des surfaces de chaque pôle en tant que critère pour répartir la subvention pour charges de service public de l’Etat à l’Université, reviendrait à pré-affecter les dotations et à ôter au conseil d’administration la possibilité d’apprécier souverainement la répartition des moyens entre les pôles en fonction des besoins réels. Sachant que des infrastructures régionales telles que le campus de Saint-Claude en Guadeloupe ne sont actuellement pas prises en compte dans la dotation de l’Etat et dans la subvention de l’Etat pour la maintenance, il apparait évident que si l’on tient compte du critère du patrimoine immobilier, une part supplémentaire conséquente irait au pôle Guadeloupe qui regroupe trois campus universitaires, au détriment de la Martinique, qui dispose de deux campus.
En plus du critère des surfaces dont le flou définitionnel est à condamner ainsi que nous l’avons montré antérieurement, intervient celui des effectifs des étudiants. En réalité, dans les critères sur lesquels sont en train de travailler l’actuelle présidente et les deux vice-présidents de pôle sont déjà pris en considération un coefficient selon certaines catégories pour l’évaluation du coût d’un étudiant. Pourquoi vouloir empiéter sur les compétences du conseil d’administration et figer dans la loi, ce qui relève d’une négociation nécessaire et régulière au sein de cette instance ?
Notons qu’un coefficient de 2.4 s’applique à un étudiant scientifique, 2,8 pour les étudiants en école d’ingénieur, lorsqu’un étudiant en Lettres ou en Droit et Economie a un coefficient de 1. Sachant que la Martinique recense essentiellement les Sciences Humaines, le droit et les Sciences économiques quand dans le même temps la Guadeloupe dispenses les matières scientifiques, la Médecine et l’Ecole d’Ingénieur en plus de celles qui sont aussi dispensées en Martinique, on comprend que la part de subvention destinée à la Guadeloupe soit largement prépondérante.
Or, plutôt que de s’orienter vers un nécessaire rééquilibrage entre les deux pôles, l’adoption des amendements proposés par le gouvernement risque au contraire d’aggraver ce déséquilibre.
En effet, si le texte était malencontreusement retouché, comme semble le vouloir ce gouvernement, nous basculerions alors dans un rapport de 80% de dotation pour la Guadeloupe et de 20% pour la Martinique. Qui pourrait décemment se satisfaire d’une telle iniquité alors que le texte en son état actuel permet de sauvegarder un rapport équilibré de l’ordre de 60/40 entre Guadeloupe et Martinique? De l’avis de tous les observateurs Martiniquais et Guadeloupéens, cet équilibre permet aux deux pôles de vivre.
Au regard des chiffres avancés, vous conviendrez qu’il ne s’agit pas de querelles de clochers, mais bel et bien de d’avancer des données précises et objectives. La Martinique paye déjà suffisamment cher certains choix historiques, tel que celui d’avoir laissé se développer quasiment toutes les sciences en Guadeloupe et notamment une école d’ingénieur en 2011, pour que je puisse assister sans mot dire et sans maudire, à l’asphyxie du pôle universitaire de Martinique.
Nous, martiniquais, sommes d’ailleurs en droit de nous interroger sur les raisons d’un tel acharnement et sur les motifs qui nous valent si souvent des arbitrages discriminatoires. Tantôt il s’agit de remettre en question la légitimité des présidences martiniquaises consécutives à la tête de l’ex- UAG, alors que celles-ci n’ont pas particulièrement bénéficié à la Martinique et qu’il y a eu jusqu’ici autant de présidences martiniquaises que guadeloupéennes.
Tantôt il est question de reconsidérer la légitimité de l’actuelle présidente de l’Université, à qui certains reprochent d’incarner une figure féminine trop verticale ayant entrepris la salutaire mission d’assainissement des méthodes condamnables pratiquées notamment au sein du laboratoire de recherche CEREGMIA, dossier désormais entre les mains de la justice.
En définitive, le texte devrait être adopté en l’état, car nous avons suffisamment tergiversé et les étudiants Martiniquais et Guadeloupéens n’ont que trop payé le tribut des errements et du vide juridique qui perdurent. J’invite donc chacun à prendre toute la mesure des enjeux inhérents au projet de loi relatif à création de l’Université des Antilles et à avoir une vision claire, prospective mais surtout objective et juste, de sorte de préserver un équilibre certes fragilisé, mais tellement indispensable à la pérennité de cette nouvelle institution. En effet, alors que notre Université des Antilles en est encore au stade embryonnaire, nous devons nous garder de relancer les rivalités qui ont, il y a un an, causé l’éclatement de l’UAG.
Nous considérant isolément d’aucun pourrait dire que nous ne sommes que deux cailloux dans l’océan. Alexandre de Saint-Exupéry affirmait : « La pierre n’a point d’espoir d’être autre chose qu’une pierre. Mais, de collaborer, elle s’assemble et devient temple.» Ainsi, de collaborer et en revenant à l’intelligence, à la sagesse et à l’apaisement, la Martinique et la Guadeloupe parviendront à ériger l’Université des Antilles en Temple de la connaissance
Paris, le 19 février 2015
Jean Philippe NILOR, Député de Martinique
Assemblée Nationale : INTERVENTION DU DÉPUTÉ Jean-Philippe NILOR EN FAVEUR DE L’UNIVERSITÉ DES ANTILLES