— Par Georges Vigarello, Directeur d’études à l’EHESS —
« L’« affaire Barbarin » est retentissante parce que le cardinal s’en tient à une « demande de pardon » aux victimes, révélant la distance entre le vieux repère religieux et le repère juridique. Elle ouvre pourtant sur un emballement médiatique qu’il faut regretter. »
Lorsque le Père Contrafatto, prêtre italien officiant à Paris, est accusé, en 1826, de violence sexuelle sur une enfant de 5 ans, son long procès révèle d’abord l’incompréhension des juges. Comment un homme aussi discret, aux mains aussi blanches, à l’apparence aussi raisonnable, peut-il se livrer à des actes aussi abjects ? Comment son apparente normalité peut-elle recéler sa redoutable duplicité ? Contrafatto, condamné, sera d’ailleurs rapidement libéré, protégé par l’Eglise autant que par le pouvoir d’une Restauration craignant les effets politiques de la querelle religieuse.
Reste que de telles accusations demeurent rares encore au XIXe siècle, comme au XXe siècle, même si les agressions sont nombreuses, même si en 1865 un frère des écoles chrétiennes de Versailles est accusé d’attentats à la pudeur sur 87 enfants, provoquant la colère et le désarroi des parents, leur vindicte aussi, certains proposant même de « brûler et saccager la maison des frères ». Une relative impunité demeure. L’ascendance sur l’enfant autorise des masques possibles : de tels actes d’adultes apparemment responsables et respectés perceront difficilement la gangue du secret.
Constat d’un ravage intime
Il faudra un long chemin judiciaire, social, et surtout culturel, pour que l’agression sexuelle sur l’enfant devienne un crime « spécifique », appartienne à une catégorie de désirs et de gestes « particuliers », qualifiés eux-mêmes d’un nom singulier : la « pédophilie ».
Les…