Il y a eu «entre 2900 et 3200 pédocriminels», hommes – prêtres ou religieux – au sein de l’Église catholique en France depuis 1950, a déclaré à l’AFP Jean-Marc Sauvé, le président de la Commission qui enquête sur la pédocriminalité dans l’Église.
Paris – Combien de victimes, combien de prédateurs ? Comment l’institution s’est-elle comportée ? Quelles leçons faut-il en tirer ? Une commission indépendante rendra, le 5 octobre, son verdict, inédit et très attendu, sur la pédocriminalité dans l’Église catholique de France.
Un « rapport général » de plus de 300 pages, un abondant recueil de verbatims de victimes, des annexes fournies: c’est une somme de plus de 1.300 pages que s’apprête à remettre la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) depuis 1950, présidée par Jean-Marc Sauvé, conclusion de deux ans et demi de travaux.
Elle sera publiquement remise à la Conférence des évêques de France (CEF) et à la Conférence des religieuses et religieux des instituts et congrégations (Corref), qui la lui avaient commandée.
La tonalité du rapport s’annonce sévère. « Il ne va pas être complaisant« , assure à l’AFP le sociologue Philippe Portier, un des membres de la Ciase, qui promet des « recommandations très exigeantes« . Ça va « taper fort« , anticipe un autre membre.
« Il va se passer quelque chose qui marquera l’histoire de l’Église« , prédit lui aussi François Devaux, cofondateur de l’association de victimes La parole libérée, aujourd’hui dissoute.
Le rapport va d’abord faire un état des lieux quantitatif du phénomène.
Lors d’un point d’étape en mars, Jean-Marc Sauvé avait estimé à « au moins 10.000 » le nombre de victimes d’agressions sexuelles commises par des clercs sur des mineurs ou des personnes majeures vulnérables (en situation d’emprise spirituelle ou victimes d’abus d’autorité…) depuis 1950.
Ce chiffre « va être fortement revu à la hausse » dans les conclusions finales, selon une source proche du dossier.
« Je crains que, le 5 octobre, le rapport (…) ne rende des chiffres considérables, effrayants« , a confirmé récemment Mgr Eric de Moulins-Beaufort, le président de la CEF.
– « Vie empêchée » –
La Ciase comparera en outre la prévalence des violences sexuelles dans l’Église à celle identifiée dans d’autres institutions (associations sportives, école…) et dans le cercle familial.
Poids du cléricalisme ? Omerta sur ces phénomènes d’emprise ? La commission, qui a aussi creusé les archives, évaluera par ailleurs les « mécanismes, notamment institutionnels et culturels » qui ont pu favoriser la pédocriminalité.
En novembre, M. Sauvé avait évoqué une « gestion de ces affaires qui dans le passé a souvent été défaillante« .
Sans les nommer, le haut-fonctionnaire avait jugé « extrêmement grave qu’il ait pu y avoir quelques institutions et quelques communautés, en petit nombre, où des abus systémiques aient pu être commis« .
Le diagnostic fait, la Commission doit énumérer une quarantaine de préconisations, afin que l’Église catholique soit « sûre« .
Pour ses travaux, la Ciase a fait de la parole et du vécu des victimes « la matrice de son travail« , selon M. Sauvé. D’abord avec un appel à témoignages ouvert dix-sept mois, qui a recueilli 6.500 appels de victimes ou de proches. Puis en procédant à quelque 250 auditions longues ou entretiens de recherche.
« Pour beaucoup de victimes, notre rôle c’était de publier ce qu’a été leur vie gâchée, leur vie empêchée, parfois de parler de copains qui se sont suicidés« , explique le magistrat Antoine Garapon, membre de la Ciase.
« Ce sont des écrits qui vont rester et on ne pourra plus dire que ce n’était pas vrai« , se félicite Eric Boone, victime d’un frère dominicain quand il était adolescent.
– « Droite et gauche du Christ » –
Dans la majorité des cas, les faits sont aujourd’hui prescrits, les auteurs décédés, rendant un recours à la justice improbable. Les procédures canoniques (le droit de l’église), quand elles sont engagées, sont très longues et peu transparentes.
Une fois le rapport publié, quelles suites l’Église lui donnera-t-elle ?
« J’attends que nous soyons confrontés à ce fardeau, aussi noir soit-il, afin que nous puissions ensuite prendre les mesures qui s’imposent« , affirme Véronique Margron, présidente de la Corref.
L’épiscopat a pris les devants en promettant non pas des réparations mais des « contributions » financières, versées aux victimes à partir de 2022, dont les montants restent à préciser.
« Le rapport va être un travail très utile. Mais quel pouvoir contraignant aura-t-il ?« , interroge Stéphane Joulain, prêtre et psychothérapeute, qui sensibilise sur la pédocriminalité dans les séminaires.
Les premières réponses de la CEF et de la Corref sont attendues en novembre, à l’occasion de leurs assemblées générales.
Le rapport Sauvé sera examiné à la loupe à Rome, où la question a été évoquée par le pape François et une partie des évêques français en visite au Vatican en septembre.
Et chez les fidèles ? Le sociologue Philippe Portier s’interroge: « est-ce que +la droite du Christ+ trouvera que ça va trop loin et +la gauche du Christ+ pas assez loin ? »
Source : AFP / Le Petit Journal