— Par Patrick Singaïny(*) —
En 2001, en Martinique, à la fin d’une passe d’arme à fleuret moucheté dans les colonnes de l’hebdomadaire Antilla, à cet intellectuel martiniquais qui me sommait de désigner quels étaient, pour moi le Réunionnais, nos Césaire, nos Glissant et nos Fanon, je n’ai su que répondre. Mais durant la semaine qui ssuivit, j’ai pensé très fort au seul qui demeure celui qui, selon moi, peut être considéré comme le premier éveilleur de la conscience réunionnaise : Paul Vergès. Il ne s’agit pas de politique, ni d’identité. Il s’agit de la réunionnité, terme que j’ai conçu là-bas et qui désigne la personnalité réunionnaise à la fois dans ses fondements et dans son devenir.
Comme Aimé Césaire, une des principales personnalités marquantes du 20ème siècle, Paul Vergès s’est trouvé du bon côté de l’Histoire de ceux qui veulent changer le monde à défaut d’en proposer une alternative. Le communisme a été sans doute une étape de franchissement. Et comme Césaire qui a crée le PPM (Parti Progressiste Martiniquais), il s’en est affranchi en créant le PCR (Parti Communiste Réunionnais).
Lors d’un entretien à bâton rompu en 2008, qui devait durer 15 petites minutes, entre 2 cigares, nous avons échangé à la fois sur le P (Progressiste) et sur le C (Communiste)… sans qu’il ne prononçât une seule fois le mot communisme, ni même celui de capital. Pendant plus de 3h, il n’a parlé que du présent comme d’une dimension permanente avec un œil rivé sur l’avenir en termes d’exercice d’anticipation. C’est ainsi qu’il voyait la pratique de sa passion : la chose politique. Mais en n’en pas douter, l’homme en avait une autre : la pensée agissante. Une chose qu’il avait héritée de son père, le docteur Raymond Vergès, dont il a souligné à maintes reprises sa capacité à allier science et action.
Jacques était un révolté au sens où l’entendait Fanon, son frère Paul était un visionnaire. Un homme d’une extraordinaire intelligence par sa capacité à synthétiser ce qui paraît ardu, ET, plus que tout, à tendre des passerelles entre 2 choses apparemment éloignées. C’est là, selon moi, la marque d’un intellectuel. Si on ajoute à cela qu’il conservait un grand sens de l’humour, auprès de lui, j’ai retrouvé ce que j’avais ressenti au contact d’Aimé Césaire, 7 ans plus tôt : un grand charisme doublé d’un sens toujours recherché de la simplicité. Lui aussi croyait en La France une et multiculturelle, celle à la main tendue qui peut envisager d’autres néologismes ouverts autre que la départementalisation.
Paul Vergès était plus qu’un homme politique. Il était celui qui avait ouvert la voie vers une réunionnité qui aujourd’hui ne demande plus qu’à être reconnue… par les Réunionnais eux-mêmes.
La personnalité réunionnaise du 20ème siècle est donc allée rejoindre Aimé Césaire au panthéon des non-alignés, dans la nuit du 11 au 12 novembre 2016. A l’âge de 91 ans.
(*)Patrick Singaïny
Ecrivain et essayiste réunionnais.
Auteur avec Edgar Morin de « La France une et multiculturelle », Fayard, mai 2012.